mardi 23 novembre 2010

Contribution de Réseau Citadelle à la presse française.

Epidémie de choléra : la ville de Cap-Haïtien sombre dans le chaos

Une barricade dans la ville de Cap-Haïtien. Photo de Cyrus Sibert publiée sur Réseau Citadelle, le 15 novembre 2010.
 
Des barricades en feu, des Haïtiens en colère. Depuis quatre jours, la deuxième ville du pays, Cap-Haïtien, est en état de siège. Les manifestants prennent notamment pour cible les soldats de l'ONU qu'ils croient responsables de l'épidémie de choléra.
 
Une rumeur selon laquelle celle-ci est née dans les fosses sceptiques des soldats népalais de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) a mis le feu aux poudres dans le pays.
 
En dépit des tests sanitaires effectués auprès des soldats népalais mis en cause, des Haïtiens mécontents de la gestion de l'épidémie et prêts à en découdre avec les hommes de la Minustah envahissent depuis lundi les rues des villes de province et de la capitale, Port-au-Prince. En quatre jours, deux personnes au moins ont été tuées par balles et une vingtaine d'autres blessées dans des affrontements.
 
Le bilan de l'épidémie de choléra, qui sévit en Haïti depuis la mi-octobre, s'élève à 1 110 morts. Plus de 18 000 personnes ont par ailleurs été contaminées. Cette semaine, le virus a passé les frontières du pays : un cas a été répertorié en République dominicaine et un autre en Floride, aux États-Unis.

"Depuis lundi, je suis sur une barricade dressée dans mon quartier"

Stanley Jean-Mary, militant de gauche, est pointé du doigt par les autorités comme étant le responsable des troubles à Cap-Haïtien. Il nous raconte les événements de lundi.
 
Depuis deux ans, nous sommes face à un gouvernement irresponsable. On avait déjà eu d'autres séismes, d'autres catastrophes, d'autres cyclones avant cette terrible année 2010. Le gouvernement aurait dû se préparer à ce type de situation. Au lieu de cela, après le tremblement de terre, le gouvernement s'est croisé les bras. Ensuite, il y a eu le cyclone Tomas, puis l'épidémie de choléra. La situation s'est dégradée sans que le gouvernement ne vienne au secours de la population.
 
Lorsque les habitants ont appris que trois personnes contaminées par le choléra étaient mortes dans la nuit de dimanche à lundi, ils se sont mobilisés de façon spontanée lundi matin. Avec les camarades de mon comité de quartier, nous avons d'abord défilé pacifiquement pour convaincre d'autres personnes de rejoindre le mouvement.
 
À quelques rues de là, une autre manifestation s'est terminée par un affrontement entre des policiers d'une unité spéciale. Un commissariat a été incendié et la Minustah a commencé à lancer des gaz lacrymogènes. Nous, nous nous sommes défendus en lançant des pierres et on a dressé des barricades. L'une des deux personnes qui a été tuée ne faisait même pas partie des manifestants. C'était un jeune sorti recharger le téléphone de ses parents.
 

Le commissariat incendié par des manifestants. Photo de Cyrus Sibert publiée sur Réseau Citadelle, le 15 novembre 2010.
 

Panneau publicitaire incendié. Photo de Cyrus Sibert publié sur Réseau Citadelle, le 15 novembre 2010.
 
 "Haïti est toujours occupée par des puissances étrangères"
 
Depuis lundi, je suis sur une barricade dressée dans mon quartier situé dans le nord-ouest de la ville. Nous avions décidé d'une trêve pour que la population se ravitaille. Mais tous les quartiers de la ville ne nous ont pas suivis.
 
J'ai reçu le conseil d'être prudent de la part de mes contacts dans le gouvernement, au sein de l'appareil judiciaire mais aussi de mes amis. Mais je ne vais pas me cacher. Je me mets à l'abri pendant la nuit, mais la journée, je poursuis mes activités politiques, je vais à des réunions où l'on décide de nos stratégies, de nos objectifs et de nos revendications.
 
Aujourd'hui, nous avons organisé une réunion pour discuter avec la population de la signification de l'indépendance du 18 novembre 1802 dans le contexte actuel. Car Haïti est toujours occupée par des puissances étrangères et par l'ONU, une organisation qui est dirigée par elles.
 
Je suis en faveur des prochaines élections législatives et présidentielle du 28 novembre. Je ne veux pas que le gouvernement actuel, corrompu, ait un prétexte pour ne pas organiser de nouveaux scrutins. Il faut permettre à la population d'aller voter."
 

Une barricade dans la ville de Cap-Haïtien.Photo de Cyrus Sibert publiée sur Réseau Citadelle, le 15 novembre 2010.

"On sent ici la peur, la panique"

Cyrus Sibert vit à Cap-Haïtien où il tient le blog Réseau Citadelle.
 
La Minustah est impliquée dans plusieurs affaires sordides, comme par exemple l'histoire de cet adolescent, Gérald Jean Gilles, retrouvé pendu dans un baraquement de la Minustah le 18 août 2010. Les circonstances du décès de ce jeune n'ont toujours pas été élucidées. Les casques bleus ont déclaré qu'ils avaient découvert à l'aube le corps inerte du jeune homme. Cette version des faits est contestée par les parents de la victime [un journaliste brésilien a couvert cette affaire, NDLR]. Cette histoire a choqué les habitants de Cap-Haïtien qui réclament que la justice soit rendue.
 
La situation s'est tendue davantage encore avec l'épidémie de choléra. On trouve des cadavres partout en ville. On sent, ici, la peur, la panique. Voir le maire-adjoint faire transporter un cadavre dans un camion rempli d'ordures a choqué la population. Celle-ci se sent abandonnée, avec son maire qui préfère se rendre en France alors que l'épidémie de choléra progresse.
 
Le groupe à l'origine de la première manifestation de lundi était composé d'hommes proches des partis au pouvoir. Ils criaient dans les rues : "À bas les élections et vive la lutte contre le choléra !". Puis, vers 10h, la manifestation a dégénéré. Elle a pris un tour anti-Minustah et toute la ville s'est embrasée.
 
Le problème, c'est qu'il n'y a pas de leader qui lance de mots d'ordre. Dans chaque quartier, les jeunes organisent leur propre résistance, on rencontre des barricades tous les dix mètres. Aucun véhicule ne peut circuler, plus rien ne fonctionne. Cela fait quatre jours que l'on est cloîtré chez nous. Généralement, on ne fait pas de provisions car on vit au jour le jour. Résultat : les placards sont vides et on n'ose pas sortir. On va avoir une catastrophe humanitaire où les gens meurent de faim et du choléra."
 

Barricade sur la route nationale n°1, menant a Vertières, site de la bataille de 18 novembre 1803, symbole de l'indépendance du pays. Photo de Cyrus Sibert, le 18 novembre 2010.

Barricade sur la route nationale n°1, menant a Vertières. Photo de Cyrus Sibert, le 18 novembre 2010.

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"La vraie reconstruction d'Haïti passe par des réformes en profondeur des structures de l'État pour restaurer la confiance, encourager les investisseurs et mettre le peuple au travail. Il faut finir avec cette approche d'un État paternaliste qui tout en refusant de créer le cadre approprié pour le développement des entreprises mendie des millions sur la scène internationale en exhibant la misère du peuple." Cyrus Sibert
Reconstruction d'Haïti : A quand les Réformes structurelles?
Haïti : La continuité du système colonial d'exploitation  prend la forme de monopole au 21e Siècle.
WITHOUT REFORM, NO RETURN ON INVESTMENT IN HAITI (U.S. Senate report.)

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