jeudi 12 août 2010

Haïti : entre confusion, débâcle et leadership spontané.

Haïti : entre confusion, débâcle et leadership spontané

La confusion s'intensifie en Haïti et la débâcle s'annonce comme irréversible. Depuis l'annonce officielle du chanteur hip hop, Wyclef JEAN, de son ambition pour la course électorale, le pays s'enfonce dans une situation de grands embrouillements où les opinions sont partagées. Pour certains, ce fait est venu confirmer une fois de plus la déchéance de la classe politique haïtienne, l'émergence des tiers et l'emprise de la diaspora haïtienne sur la vie nationale. D'autres croient comprendre que le pays traverse les tréfonds de la vie morale, économique, culturelle et politique, de toute l'histoire de l'humanité.

Qu'il s'agisse de l'une ou de l'autre de ces opinions, d'ailleurs fondées, un fait est que la situation actuelle d'Haïti ne devrait pas être livrée sur le compte de la plaisanterie, de l'amateurisme politique encore moins du leadership spontané. Il est désormais un fait que Wyclef JEAN est postulant au poste de président d'Haïti, avec un bémol parce que la période de vérification de documents de candidature termine le 17 Aout prochain, il faut attendre la décision finale du Conseil Electoral Provisoire, CEP. Que Wyclef soit agréé ou pas pour participer aux élections du 28 Novembre 2010, plusieurs messages sont décodés dans ce geste :

Les partis politiques sont extrêmes faibles. A quoi bon redouter un naïf de l'administration politique ? Wyclef peut être un porteur de message de nationalisme, de solidarité voire de développement socioéconomique durable. Il peut ovationner la lignée populiste traditionnelle haïtienne mais il n'a pas le profil militant, combattant, engagé pour représenter Haïti. A regarder le retard que Haïti a accumulé, avant le séisme du 12 Janvier dernier, qui a ravagé l'économie du pays, par rapport à la République Dominicaine, occupant l'autre partie de l'Île, à suivre le rythme croissant de développement de la Région Caraïbe, à comprendre l'obligation pour Haïti d'avoir un interface « éclairé » pour négocier la Reconstruction du pays avec la Communauté Internationale, pour la refondation des institutions publiques, la redéfinition la citoyenneté, la réhabilitation de l'être haïtien, etc. Wyclef JEAN est de loin ce leader expérimenté, avec un encrage local et des liaisons internationales bien établies qui puisse apporter le progrès ;

L'individualisme et la mégalomanie triomphent de tout élan citoyen. Est-ce que les peuples américains et français, par exemple, auraient cru vrai une quelconque déclaration d'intention au présidentiel de la music star 50 Cent, du NBA Player Kobe Bryant, du footballeur Zinedine Zidane ? Je respecte ces personnalités autant qu'elles respectent la responsabilité politique de leur pays. Wyclef est surement pris au piège de l'American Showbiz. Il est éduqué dans un système d'apparence qui oblige l'occupation du devant de la scène : Top du Black Entertaitement Tv, BET ! C'est une machine à fabrication d'individualiste et de mégalomane. Avec la popularité de Wyclef, sa sensibilité pour Haïti, sa capacité de mobilisation et son aura, il aurait été une meilleure plaque sur laquelle pouvait tourner une construction politique, avec des leaders plutôt madrés dans le jeu diplomatique et Haïti est une pente glissante. Cette remarque est aussi vraie pour le chanteur Michel MARTELLY, postulant à la présidence d'Haïti ;

La tradition de la doublure semble refaire surface. Est-ce que la diaspora haïtienne, principal bailleur de fonds du pays, paradoxalement tenue à l'écart depuis toujours, va exploiter la politique du contrôle à distance ? La Constitution haïtienne de 1987, encore en vigueur, met à l'écart la diaspora haïtienne dans la vie politique locale en posant la double nationalité comme critère d'élimination directe. Si vraie, Wyclef peut mobiliser la communauté haïtienne de l'extérieur, il s'annonce une tournure dans la tradition d'hypocrisie qui entoure les relations entre les « haïtiens du dedans » et les « haïtiens du dehors ». Mais la encore, le problème reste entier, certains voient dans la candidature de ce dernier, la « fin du pays », disant : « Haïti ne reste plus d'homme, c'est terminé ». D'autres entrevoient la continuité de l'histoire et le maintien de la pauvreté.

Les vertus se perdent dans la politique comme les fleuves à la mer. Est-ce que Haïti va profiter de cette situation de confusions, de douleur, d'hésitation, d'immaturité, de cette crise avérée de leadership pour vraiment se relever, se défaire de la tradition de l'amateurisme, du laisser-faire et prendre les voies du progrès ? Les prestations qui ont accueillies le dépôt de candidature de Wyclef JEAN et la rumeur qui fait croire qu'il dispose de lourd moyen financier pour sa campagne, offrent une vue de la dynamique qui advienne dans deux ou trois mois, s'il est retenu par le CEP. Le parti au pouvoir, « Lespwa » (Espoir), d'un revers de main s'est métamorphosé en « Inite » (Unité), veut, par tous les moyens, maintenir les pouvoirs Exécutif, Législatifs et Judiciaires, et les reproches adressées au CEP qu'il soit un outil du Gouvernement, semblent s'avouer comme un fait. La réalité électorale haïtienne ne laisse toujours pas le choix à la conviction politique, à l'idéologie, à la militance. Elle entraine plutôt au népotisme, au clientélisme, créant un marché de vote où le « qui paie mieux gagne » triomphe. Se dessine un panorama plutôt mesquin, individualiste mais est-ce que Wyclef a l'équilibre nécessaire pour se protéger de ce système marchand, bien encré dans l'électorat haïtien ?

Einstein postule qu'« un problème sans solution est un problème mal posé ». Une critique du présent texte peut bien s'en servir pour montrer qu'il est temps que la politique soit libérée des politiciens mais elle aura du mal à justifier comment un leader spontané peut prendre, en 2011, les rênes d'un pays qui progresse dans la dégradation de la qualité de vie, où la justice sociale, la croissance économique, l'accès aux services de base, santé, éducation, eau potable, assainissement, etc. sont des chimères ? Le défit du pays est de trouver une formule qui puisse faciliter la synergie. Pourquoi plus de 50 partis inscrits pour les prochaines élections ? Le citoyen haïtien en 2010 est en train de reproduire les stratégies de survie préconisées par les bandes de marron : à chaque carrefour un membre se rebelle et forme sa propre bande. Wyclef Jeannel JEAN est sans doute en train de confirmer cette expression populaire : « chaque haïtien a sa propre Haïti dans ses poches ».

Claudy DONET

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