samedi 12 juin 2010

Affaire Boulos : "Il y a des Juges en Haïti"


"Il y a des Juges en Haïti"

Le tribunal de Première instance de Fort-Liberté (commune du département du Nord-Est), présidé par son doyen, Me Garry Paul Angrand, a rendu, à l'audience du lundi 16 juin 2008, en ses attributions civiles, une décision mettant à néant la résolution du Sénat de la République du 18 mars 2008 relative à la double nationalité des sénateurs Ultimo Compère et Roudolph Henry Boulos.

Le tribunal déclare qu'effectivement les questions relatives à la nationalité, à la qualité d'un citoyen, sont du ressort exclusif des tribunaux de droit commun; reconnaît en conséquence que la résolution du 18 mars 2008, prise par le Sénat de la République, est une fuite en avant pour n'avoir pas la vertu d'attendre un jugement d'un tribunal de droit commun sanctionnant le rapport de la Commission sénatoriale d'enquête sur la double nationalité.

Ce qui rend donc cette résolution inopposable à M. Roudolph Henry Boulos, premier sénateur de la République pour le département du Nord-Est, tenant compte de l'acquiescement de la partie demanderesse aux observations produites par Me Edva José du Barreau de Port-au-Prince, à l'audience publique du lundi 9 juin 2008, compense les dépens et dommages-intérêts ».

L'affaire introduite à ce tribunal à l'initiative du sénateur Boulos, défendu par ses avocats Me Elphège Blaise du Barreau de Fort-Liberté, Jean Garry Rémy et Samuel Madistin du Barreau de Port-au-Prince contre l'Etat haïtien, a été plaidée contradictoirement. L'Etat haïtien a été défendu par Me Edva José du Barreau de Port-au-Prince.

La plaidoirie est tournée autour de la question de voie de faits, de la juridiction compétente pour réparer ou faire cesser une voie de fait, de la responsabilité de l'Etat en cas de faute commise par un de ses agents ou par une de ses institutions. Le conseil de la défense de Boulos soutient, se référant à la doctrine, qu'il y a voie de fait quand une institution de l'Etat prend une décision insusceptible de rattacher à l'exécution d'un texte législatif ou règlementaire ou quand la décision porte atteinte aux libertés fondamentales des citoyens.

C'est bien le cas de la résolution du Sénat de la République le 18 mars 2008, a indiqué le conseil de la défense de Boulos.

Selon les avocats de Boulos, cette résolution, n'étant pas prise en exécution d'une loi ou d'un règlement, elle n'est ni plus ni moins qu'une voie de fait. C'est donc le tribunal civil, citant la doctrine et la jurisprudence comparée qui seul est compétent pour connaître de toutes contestations nées sous cette base. Etant donné qu'il est de principe: qu'un citoyen ne peut rester sans justice, il doit toujours avoir droit à un recours effectif contre les décisions qui préjudicient à ses droits, ont-ils poursuivi.

En réplique, l'Etat haïtien, par l'organe de son avocat, Me Edva José déclare que l'Etat haïtien n'a pris aucune décision contre le demandeur, ne s'est pas mêlé dans les débats parlementaires relatifs à cette question et qu'il n'a donc commis aucune faute.

Il a demandé au tribunal de rejeter l'action ultérieure en dommages-intérêts contre l'Etat haïtien sollicitée par le sénateur Boulos, de rejeter également toute condamnation contre l'Etat.

Reprenant la parole, le conseil de la défense de Boulos, par la voie de Me Madistin, a fait remarquer que, le Sénat de la République, n'ayant pas de personnalité juridique propre, c'est donc à l'Etat qu'incombe la responsabilité des actes posés par le Sénat d'une part; que d'autre part, selon les principes généraux qui gouvernent la responsabilité de la puissance publique, l'Etat, dans une société démocratique, ne peut imposer à ses sujets des décisions arbitraires et doit leur garantir une voie de recours effectif et efficace contre des décisions qui préjudicient à ses droits.

De son côté, le représentant du ministère public, Me Gerçon Brénor, voulant éviter un conflit d'attribution entre deux ordres juridictionnels, a requis le Tribunal civil de Fort-Liberté de se déclarer incompétent en raison de la matière (...), vu que le concept voie de fait utilisé par le demandeur dans son assignation est essentiellement administratif, de renvoyer en conséquence les parties par devant la juridiction administrative pour les suites de droit.

Le tribunal, suite à la plaidoirie des parties et au dépôt des pièces, après analyse, a reconnu que ni la Constitution, ni la loi, ni les règlements intérieurs du Sénat ne donnent au Sénat le pouvoir de prendre la résolution du 18 mars 2008. Le tribunal considère que le fait par le Sénat de rayer le nom du sénateur Roudolph Boulos sur la liste des sénateurs équivaut à une radiation.

D'où la violation de l'article 112-1 de la Constitution "87" par le Sénat de la République, fait-on remarquer.

Le tribunal admet qu'une telle décision du Sénat serait possible uniquement dans le cadre de l'article 113 de la Constitution de 1987 qui prescrit: «sera déchu de sa qualité de député ou de sénateur, tout membre du corps législatif qui, pendant la durée de son mandat aura été frappé d'une condamnation prononcée par un tribunal de droit commun qui a acquis autorité de chose jugée et entraîne l'inéligibilité» et qu'aucune preuve n'a été avancée depuis l'élection de Boulos comme premier sénateur de la République pour le département du Nord-Est.

Cette décision, dit Me Samuel Madistin, est une preuve qu'il y a des juges en Haïti. Il se réfère à une anecdotte célèbre dans le monde de la basoche du menuisier de Berlin opposé à la toute puissance du prince de la même ville sur un conflit relatif à son droit de propriété.

Le menuisier avait un lopin de terre dans le voisinage du Palais du prince et qui attirait la convoitise de ce dernier. Le menuisier, refusant de se soumettre aux pressions tendant à faire croire qu'il ne peut se mesurer à la toute puissance du prince, avait déclaré à ceux qui le pressuraient: «il y a des juges à Berlin ».

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