mercredi 21 avril 2010

Le role du Parlement dans le jeu democratique

Le Rôle du Parlement dans le Jeu Démocratique
 
Jean Sénat Fleury, 4/14/10
 
N.B. Ce texte de Jean Sénat Fleury a été  publié dans le quotidien Le Matin, 15 Janvier 1998, p.4
 
Dans toute société démocratique, le fondement de l'État est basé sur le principe de la séparation des pouvoirs. Une société politiquement équilibrée est celle qui accepte le jeu de la concurrence des pouvoirs. Assurément, cette rivalité n'aboutit pas obligatoirement au conflit insoluble à la rupture irrémédiable entre les puissances antagonistes. Mais il reste que la donnée fondamentale de la vie politique, c'est cette concurrence entre le Pouvoir Législatif, le Pouvoir Exécutif et le Pouvoir Judiciaire. Dans tous les grands États démocratiques, la doctrine libérale a fait prévaloir une séparation des pouvoirs.
 
La séparation des pouvoirs
L'origine de cette théorie se trouve chez Montesquieu qui voulait garantir la liberté des citoyens. Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. Cette théorie consiste à opérer une scission du pouvoir en trois organes : (le Législatif, l'Exécutif et le Judiciaire), et à confier à chaque organe une fonction. La souveraineté de l'État se trouve ainsi partagée en trois organes rivaux et égaux ; elle n'est le monopole d'aucun groupe de gouvernants.
 
Chaque organe est spécialisé. Le Législatif, confié à une ou deux assemblées, édicte des lois (acte à portée générale et impersonnelle). L'Exécutif procède à l'administration du pays dans le cadre tracé par le législateur, enfin, le Judiciaire, exerce par un corps de magistrats, est chargé en application des lois existantes de mettre un terme aux conflits qui peuvent surgir dans le pays. Ces organes placés sur un pied d'égalité sont indépendants les uns des autres; chacun d'entre eux peut ainsi résister aux pressions des deux autres.
 
Les deux principaux types de régimes politiques démocratiques
 
Il est possible de classer les grands types de régimes politiques en prenant comme critère la séparation des pouvoirs.
 
a)   le régime parlementaire
 
La définition classique du régime parlementaire met en valeur les idées d'équilibre et de collaboration entre l'Exécutif et le Législatif. Le régime parlementaire est qualifié de système de poids et de contrepoids. En effet, un équilibre de forces existe entre le Législatif et l'Exécutif ; grâce à des moyens d'action réciproques: le parlement surveille le gouvernement et peut le révoquer par la mise en jeu de sa responsabilité politique. A l'inverse, le gouvernement peut agir sur les assemblées par l'ouverture et la clôture des sessions parlementaires et le droit de dissolution qui contrebalance la mise en jeu de la responsabilité politique.
 
Ce principe d'équilibre se retrouve au sein même du Législatif et de l'Exécutif qui, traditionnellement, sont scindés en deux éléments. Le Parlement se compose de deux chambres, selon le principe du bicaméralisme: une chambre basse et une chambre haute. De son côté, l'Exécutif a une structure dualiste; il est scindé entre un Chef d'État et un Cabinet Ministériel. Le Chef d'État est le plus souvent Président de la République élu, il est irresponsable et exerce une simple magistrature morale: le Cabinet, au contraire, exerce le pouvoir exécutif et est responsable devant le Parlement.
 
Mais pour que le système puisse fonctionner, il est nécessaire qu'une collaboration s'instaure entre ces différents organes. L'Exécutif participe à la fonction législative par son droit d'initiative et par son pouvoir réglementaire (actes juridiques pris par le gouvernement pour assurer l'exécution des lois.) Les assemblées interviennent dans la fonction exécutive par les autorisations financières permettant aux ministres d'exercer leurs compétences.
 
b) Le régime présidentiel
 
Le régime présidentiel est constitué par une application de la conception rigide de la séparation des pouvoirs. La fonction exécutive est exercée par un président élu au suffrage universel. La fonction législative est confiée à une ou deux chambres. Enfin, le pouvoir Judiciaire appartient a des Cours et des Tribunaux, composés de juges et indépendants des autres pouvoirs.
 
En principe, ni l'Exécutif ni le Législatif ne disposent de moyens d'actions réciproques : Le Président ne peut être demis de ses fonctions par les Chambres, le Parlement ne peut être dissous par le Président.
 
Haïti : le rôle du Parlement dans le jeu démocratique 
En Haïti, le Parlement exerce des droits très larges: il exerce le pouvoir législatif, c'est-à-dire a le droit de faire les actes juridiques suprêmes à portée générale et impersonnelle dans tous les domaines possibles (organisation administrative, droits de la personne, impôts etc.), il vote le budget de l'Etat comportant une prévision et une autorisation de dépenses et de recettes publiques pour l'année civile à venir ; il exerçait enfin un pouvoir de contrôle politique qui lui permet de choisir et de renverser le gouvernement. Les Parlementaires bénéficient de privilèges juridiques (appelés immunités) les protégeant dans l'exercice de leurs fonctions contre toutes les pressions gouvernementales (inviolabilité, irresponsabilité, droit à un traitement etc.).
 
  
Le Parlement dans le système politique haïtien. Où se situe la problématique?
La Constitution haïtienne du 29 mars 1987, d'inspiration semi-parlementaire, a confié l'exercice du Pouvoir Législatif à deux chambres représentatives. Une chambre des Députés et un Sénat qui forment le Corps Législatif. À la lumière des articles dans la Constitution, le Président de la République joue un rôle limité; l'autorité politique en fait est exercée par le gouvernement. Le Président de la République, élu au suffrage universel direct par la majorité absolue des votants, est considéré comme politiquement irresponsable (sauf pour crime de haute trahison). Ses pouvoirs sont très réduits. Le droit de dissoudre l'Assemblée Nationale lui est interdit – l'une des faiblesses je pense dans le jeu politique haïtien que les Français ont corrigé dans leur système politique-. Ne pouvant plus dissoudre la Chambre, cette dynamique de fonctionnement entraîne un déséquilibre de pouvoirs au profit du Parlement et au détriment de l'Exécutif. Le gouvernement légalement responsable devant l'Assemblée Nationale devient en fait totalement dépendant du Pouvoir Législatif. Le gouvernement est placé sous une dépendance totale du Parlement.
 
En Haïti, comme il existe rarement au sein du Parlement une majorité d'élus disciplinée au jeu de compromis, l'instabilité gouvernementale a toujours été un problème à gérer. Le pays se trouve toujours en crise à chaque fois qu'un groupe de députés ou de sénateurs influencé par un secteur décide de se défaire du Premier Ministre et de son gouvernement.  
 
Dans le jeu politique haïtien, les mécanismes classiques du régime parlementaire ne sont pas respectés. En France, par exemple, le pouvoir de contrôle politique subsiste, le gouvernement, nommé par le Président peut être renversé par l'Assemblée Nationale, à la suite d'une question de confiance posée par le gouvernement ou d'une motion de censure déposée par les députés. Mais ces mécanismes de mise en jeu de la responsabilité du Cabinet ne jouent pratiquement pas. D'après une règle non écrite, le renvoi du gouvernement par l'Assemblée Nationale provoque immédiatement la dissolution de celle-ci. Les députés préfèrent s'abstenir de manifester leur désaccord.
 
Vers quoi nous devons arriver?
À partir des données politiques qui viennent d'être dégagées, on se demande ou se situe la solution. La République d'Haïti a déjà fait l'expérience du régime présidentiel. Cette expérience a toujours tourné au cauchemar de la présidence à vie, la dictature du chef de l'Etat qui devient dans les faits détenteur des pouvoirs Exécutif et Législatif tout en  asservissant le Pouvoir Judiciaire – Le régime des Duvalier en est un exemple-. Pour palier à ce mal, la Constitution du 29 mars 1987 a diminué dans sa plus simple expression le pouvoir du Président qui a uniquement pour rôle de promulguer les lois, de nommer certains hauts fonctionnaires, de recevoir les ambassadeurs des pays étrangers, d'exercer son droit de grâce à l'égard des prisonniers condamnés… Tous ces actes doivent être contresignés par un ministre, ce qui fait apparaître sur le plan juridique l'étroite dépendance politique du Président à l'égard du Cabinet. En diminuant la fonction présidentielle, cette Constitution a fait un Parlement tout-puissant. Delà se dégage un autre danger de déséquilibre des pouvoirs au profit du Législatif. L'Assemblée Nationale devint l'organe prépondérant auquel l'Exécutif est subordonné.
 
Pour sortir de ce dilemme, en attendant un amendement constitutionnel pour adapter notre charte fondamentale à la réalité sociale, économique et politique du pays, nous devons arriver à une conscience politique chez les votants haïtiens pour que dans les élections législatives, une majorité se dégage au sein de l'Assemblée Nationale pour soutenir l'action du Premier Ministre issu de cette majorité.
 
Le Premier Ministre assuré d'une approbation de la majorité au Parlement serait bien aise
à faire passer son programme gouvernemental. Mais une majorité parlementaire peut ne pas exister. Cela causerait moins d'ennuis, si comme en France, le renvoi du gouvernement en Haïti par l'Assemblée Nationale provoque immédiatement la dissolution de celle-ci. Les députés et les sénateurs seront moins motivés à recourir à un vote de non confiance pour se débarrasser souvent sans motif valable du Premier Ministre et son gouvernement; une décision qui a  plongé le pays en maintes fois dans une crise institutionnelle. La classe politique dans ce cas doit faire montre d'une maturité politique, une conscience nationale digne qui lui permettra grâce au jeu de compromis d'arriver à stabiliser aussi rapide que possible les institutions de l'État dans les intérêts futurs de la nation. La question maintenant : Les dirigeants haïtiens et la classe politique de l'opposition sont-ils prêts à jouer ce jeu démocratique? 

                                                                Jean Sénat Fleury

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