jeudi 15 avril 2010

Haiti : La politique comme obstacle à la reconstruction

Lundi 12 avril 2010

Par Pierre-Richard Cajuste*

Soumis à AlterPresse le 10 avril 2010

Le thème même de la Conférence des Donateurs qui s'est tenue à New York le 31 mars dernier « Vers un nouveau futur pour Haïti » mérite qu'on s'y arrête un peu afin de déterminer les enjeux et les processus sous-jacents qui spécifient et justifient l'usage du vocable « nouveau » qualifiant le but de cette rencontre. Le thème en soi constitue la reconnaissance claire qu'une nouvelle approche s'avère impérative dans le cadre de cette nouvelle dynamique sociopolitique. En ce sens que le « nouveau futur » implique une nouvelle approche à la transformation structurelle de l'économie en vue d'impulser le développement durable et un avenir digne pour le peuple haïtien. Bref, il est venu le temps de maintenir un processus continu de réflexion, sur notre compréhension quant à la manière d'aborder la question du changement et du développement en Haïti.

Le séisme du 12 janvier 2010, comme désastre naturel et comme conséquence des inconséquences du genre humain dans sa gestion de l'environnement, a mis a nu l'extrême vulnérabilité structurelle du pays. Le tremblement de terre a décimé l'État central dont la légitimité commençait à être sérieusement érodée vu que ses principaux organes se montraient absolument incapables de fournir les services sociaux de base et de protéger et servir les intérêts de la population. Une population dont la moitié, soit plus de 4 millions d'individus, vivait déjà, bien avant le 12 janvier 2010, en dessous du seuil de la pauvreté.

Aux lendemains de cette conférence, l'évidence pointe vers un approfondissement de l'engagement international et vers une volonté de « construire mieux » cette fois-ci puisque l'emphase est mise sur la planification stratégique et la mise en œuvre effective. Les acteurs nationaux et internationaux sont conscients que l'échec de cette mise en œuvre les fera traîner le boulet de galère de ce verdict implacable de l'Histoire. Mais, comme nous le savons tous, c'est le peuple haïtien qui, en premier lieu, connaîtra les morsures de cet échec cuisant.

Serons-nous capable d'y arriver cette fois ? Le séisme servira t il comme moteur pour penser l'État d'une manière tout à fait « nouvelle » et promouvoir le développement durable ?

La situation sociopolitique haïtienne combine une suite de crises politiques qui ont mis bas tour à tour tyrannie et anarchie. Le pays a usé de vingt neuf (29) constitutions, quarante deux (42) Chefs d'Etats, parmi lesquels sept (7) sont restés au pouvoir plus de dix (10) ans, neuf (9) se sont proclamé président à vie et vingt six (26) ont été ou bien assassinés ou contraints à l'exil. La gestion du pays a toujours cédé la place aux manœuvres politiciennes. Depuis plus de deux décennies, nous nous débattons pour le transformer. Cependant, jusqu' à date, il nous semble que très peu de choses aient changé.

En Haïti, l'exercice du pouvoir vraiment corrompt et les beaux discours sur les changements à effectuer se perdent dans des entreprises trompeuses et malhonnêtes pour s'accrocher au pouvoir. Bref, le pays est fatigué d'être abîmé et le peuple de vivre dans des conditions infrahumaines.

De plus, pour plus d'un, Il y a un besoin important de fluidité et de savoir-faire en matière de planification dans l'administration publique haïtienne. Le temps n'est plus à l'hésitation : il faut enfin changer les acteurs sur le théâtre des opérations.

En lieu et place de cette politique stérile qui se profile à l'horizon, les dirigeants devraient canaliser leurs efforts vers la croissance, la création de richesses, l'infrastructure, l'environnement, l'administration, la modernisation et la systématisation des services publics.

Le secteur privé haïtien a fait part de sa vision d'augmenter la croissance et la communauté internationale la mise en œuvre d'une meilleure coordination de l'aide. Il revient maintenant aux gouvernants d'établir des politiques sectoriels et des plans d'action consensuels répondant aux besoins du pays.

Le combat efficace pour faire reculer continuellement et durablement les frontières de la pauvreté suppose, fondamentalement, l'existence d'un Etat de droit fort et respecté (légitime ?), d'une administration bien outillée et performante et d'une participation effective de l'ensemble des composantes sociales à l'œuvre de construction nationale.

La réforme de l'administration publique haïtienne se fait plus que sentir, c'est un impératif. C'est plutôt par l'administration que le citoyen ordinaire peut évaluer un gouvernement. Nous concentrer sur l'administration nous permettra de rationaliser les services, d'augmenter nos ressources financières.

Combien parmi nos citoyens ne disposent pas d'une carte d'identité, d'un passeport et même d'acte de naissance ?

Combien de nos citoyens n'ont pas d'adresse et ne sont pas répertoriés par l'Etat ? Pourquoi nos institutions publiques ne peuvent pas vendre leurs services ? Comment un Haïtien peut-il disposer de plusieurs cartes d'identité ? Le cas d'Amaral Duclona reflète une nouvelle fois de plus le caractère dysfonctionnel de l'état haïtien. A entendre certains ministres parler, on a l'impression qu'on improvise chaque jour.

Au sud comme au nord, la gouvernance est la condition incontournable pour assurer le fonctionnement de tout système démocratique ainsi que le développement durable et équitable de toute société.

Si on devait qualifier de manière simple ce qu'est la gouvernance, on dirait qu'elle est contenue dans l'idée de « juste Etat », un Etat à la fois garant de la démocratie et des droits des citoyens. L'Etat juste est celui qui assure à la fois ses fonctions régaliennes telles que : assurer l'accès à la justice et à l'administration, promouvoir et protéger les droits de la personne et les libertés fondamentales, mais cela ne suffit pas. L'Etat doit aussi assurer la cohésion sociale d'un peuple, en étant arbitre et acteur qui assure l'accès à la santé, à l'éducation, et qui gère les richesses de manière responsable et impartiale, afin d'assurer leur redistribution équitable.

On ne dira pas non à la politique ; mais nous réclamons d'abord une autre forme de gouvernance pour mieux reconstruire ou finalement construire Haïti. Sinon on sera condamné à voir la réalité de la Reconstruction faire le frais des manœuvres politiciennes des uns et des autres.

* Coordonateur du Conseil d'Analyses et de Recherches sur Haïti (CARH)

Contact: Cajuste2000@ yahoo.com

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