mardi 6 octobre 2009

Les investisseurs de Bill Clinton pour une autre Haïti.


Facteurs à ne pas oublier ou négliger

mardi 6 octobre 2009

Par Leslie Péan
Soumis à AlterPresse le 6 octobre 2009
Le président William (Bill) Jefferson Clinton a mis les bouchées doubles pour renverser l'image démoniaque d'Haïti provoquée par la peur du SIDA des années 1980 et l'embargo imposé par son gouvernement qui a détruit l'économie haïtienne après le coup d'Etat militaire de 1991. Selon les experts de l'Institut des Sciences Alimentaires et Agricoles de l'Université de Floride, "Les exportations (haïtiennes) ont décliné de 202 millions en 1991 à 57 millions en 1994, et les importations totales ont chuté de 449 millions à 141 millions. L'investissement a aussi chuté dramatiquement de 11% du PIB (Produit Intérieur Brut) en 1991 à 1.7% en 1994, causant des dommages à la faible infrastructure économique et à la production industrielle". [1] Depuis sa nomination comme Envoyé spécial des Nations Unies en Haïti le 19 Mai 2009, Bill Clinton ne cesse d'utiliser ses réseaux et de développer des alliances stratégiques pour identifier des investisseurs intéressés à investir seul ou en associations avec des partenaires en Haïti.. La dernière de ses initiatives est le programme d'une bonne qualité qu'il a organisé pour un groupe d'une centaine d'investisseurs qui ont séjourné deux jours en Haïti les 1er et 2 octobre 2009. Les points saillants de cette mission ont été les ateliers sectoriels, la visite de la station balnéaire Labadie et du Palais Sans Souci de Milot dans le Nord et les réunions avec les entrepreneurs au parc industriel de la capitale. La mission a été une expérience intéressante avec des investisseurs provenant d'Israël, du Canada, du Brésil, de la France, des États-Unis, etc. rencontrant des entrepreneurs locaux qui connaissent le pays sous toutes ses coutures. Les dirigeants des Chambres de Commerce des Gonaïves et du Nord-Ouest ont été inclus dans les discussions. A partir de leur compréhension du marché, des consommateurs, de la réglementation et de l'environnement des affaires, les investisseurs ont pu discuter de futures possibilités d'investissement dans les secteurs de l'énergie, du tourisme, de l'agribusiness et du secteur textile d'assemblage.
Les hommes d'affaire ont eu l'opportunité de voir directement le monde des affaires en Haïti. Les 49 opérateurs intéressés au textile ont pu examiner en grandeur réelle les possibilités offertes particulièrement par la loi Hope II en ce qui concerne les exportations textiles aux Etats Unis. Leurs 33 confrères versés dans l'agribusiness et les 10 autres investisseurs favorisant l'énergie ont rencontré les autorités gouvernementales ainsi que le secteur privé et ont jeté les bases de futures coopérations et collaborations avec eux. En réalité, c'est maintenant que le travail commence pour traduire le plus tôt possible les opportunités identifiées en de vrais nouveaux investissements. En dépit des efforts personnels de Bill Clinton pour changer la perception d'Haïti, il y a encore des incertitudes à court et à moyen terme. Des contraintes économiques et politiques doivent être traitées rapidement afin que les résultats attendus de l'espoir soulevé par la mission des investisseurs se matérialisent. D'où l'emphase que nous mettons ici sur les facteurs qui encouragent ou découragent les investissements en Haïti afin qu'ils ne soient pas oubliés ou négligés.
La déforestation et les problèmes écologiques d'Haïti militent pour une approche verte du développement. L'eau est essentielle pour la vie. L'impact sur l'environnement doit être le test décisif pour tous les investissements. Certains inputs pour le développement industriel tels que l'eau industrielle en particulier sont nécessaires dans le secteur textile de l'assemblage. Le lavage des vêtements dans les entreprises d'assemblage, en utilisant beaucoup d'eau dans un pays où il y a rareté de ce bien essentiel et où la population manque d'eau à boire, est une question préoccupante. En ce sens, tout projet textile d'assemblage devrait inclure une composante de recyclage des eaux usées afin de ne pas augmenter l'étendue des terres arides, comme la Plantation Dauphin l'a fait avec la culture du sisal au début du siècle dernier. Egalement l'utilisation de haute technologie à énergie solaire pour donner accès à l'eau potable dans l'environnement du milieu rural doit être considérée. Enfin, l'installation de systèmes de traitement des eaux sales est incontournable pour permettre à la population dans certaines régions d'avoir l'eau nécessaire pour les utilisations autres que boire, se laver et cuire les aliments. Généralement, l'énergie solaire et éolienne devrait être envisagée dans tout nouveau démarrage. Dans le secteur du développement agricole, la prudence est recommandée en ce qui concerne la culture de la canne à sucre à des fins de production d'éthanol. Le secteur public doit assurer la régulation foncière pour assurer qu'il y a assez de produits vivriers pour satisfaire la demande locale. Ceci est nécessaire afin que la terre n'aille pas trop à la production de denrées pour l'exportation.
La mission d'investissement a bénéficié de la participation de la Banque Inter-Américaine de Développement dirigée par son président Luis Alberto Moreno. Sa présence a envoyé le signal que les scénarios d'investissement une fois ficelés par les décideurs, la BID et le Fonds d'Investissement Multilatéral, sont prêts à donner des garanties de prêts et des financements pour les compagnies intéressées à réaliser des projets. Les rentrées de capitaux étrangers privés et de la finance internationale permettront de diminuer les contraintes de fonds propres des partenaires locaux pour l'acquisition de technologies, d'immeubles, d'espaces de bureau et autres inputs nécessaires pour la production.
Les interlocuteurs des investisseurs doivent-ils se circonscrire au secteur des affaires et au gouvernement ? Des initiatives similaires dans d'autres pays ont été fructueuses quand des consultations constantes existent avec des audiences plus larges. La société civile, les organisations non-gouvernementales et la diaspora haïtienne devraient être contactées pour rejoindre les autorités afin de maintenir un climat acceptable pour l'investissement. Haïti a 80% de sa main d'œuvre qualifiée en diaspora et seulement 30% de sa population fait confiance à ses concitoyens [2]. Il s'en suit que la pénurie d'experts et la faible communication sociale parmi les acteurs sont vraiment de sérieuses contraintes qui demandent la construction d'un consensus moyen pour diminuer le coût des transactions.
En effet, on sait que l'absence de transparence de l'information est préjudiciable au renforcement du capital social. Egalement l'effet levier des transferts monétaires de la diaspora pour financer de nouveaux projets peut être d'un apport fondamental dans la création d'un mécanisme permanent de légitimer l'approche poursuivie. La titrisation de ces transferts monétaires, comme nous l'avons déjà signalé [3], peut permettre de lever le levier de ces transferts pour dégager les fonds nécessaires au financement des infrastructures lourdes.
Parmi les contraintes critiques qui demandent une attention immédiate d'un point de vue économique, il y a la détermination du temps de latence dans l'accroissement des investissements afin de réduire la demande des inputs et les pressions inflationnistes. Un modèle approprié de simulation a besoin d'être développé pour déterminer le pourcentage de taux de croissance réel en accord avec un déficit acceptable du compte courant de la balance des paiements. Les investissements ne sont pas seulement une question économique dans un pays où il existe de si grandes inégalités économiques. Les erreurs des années 1970 conduisant à la croissance des bidonvilles ceinturant Port-au-Prince, tels que Cité Soleil, ne devraient pas être répétées. Les implications sociales des futurs investissements doivent prendre en considération particulièrement les secteurs de l'assainissement et de l'habitat.
Enfin et surtout, Haïti est dans une transition politique qui se prolonge depuis 1986. La manière dont le gouvernement actuel opère à l'intérieur du contexte politique des futures élections de 2010 déterminera le succès des opportunités découlant de la mission commerciale des investisseurs privés.. Les querelles partisanes sur la présence des troupes armées étrangères avec un mandat indéfini pourraient conduire à un blocage. Le gouvernement actuel peut ne pas pouvoir s'en sortir avec les pratiques autoritaires de truquage des élections législatives et présidentielles de 2010, comme ce fut le cas pour les élections frauduleuses de 2009.
Dans tous les cas de figure, il faut reconnaître l'effort réalisé pour tenter de placer Haïti au seuil d'un nouveau commencement, en dépit de la récession mondiale qui met la confiance des hommes d'affaire et des investisseurs au point le plus bas. Espérons que les efforts de Clinton amèneront des fruits et qu'Haïti bénéficiera de la courante destruction créatrice mondiale. Mais le leadership haïtien doit aussi faire sa part, contre toute attente, et installer un système de gestion efficient capable d'assurer le suivi avec ces opérateurs économiques qui ont consenti à faire le voyage de prospection.
L'encouragement donné à l'investissement étranger ne devrait pas porter le gouvernement à abandonner la promotion de l'agriculture et le développement des micros, petites, et moyennes entreprises (PME) produisant pour le marché local.. Cette priorité, en clair, ne doit pas changer.
Les importations annuelles de produits agricoles des Etats-Unis depuis l'an 2000 ont varié entre 120 et 155 millions de dollars. Il existe un marché annuel local de 100 millions de dollars pour les œufs, les produits laitiers et les poulets. [4] Ceci représente des opportunités de revenus pour les micro entreprises et PME à la base et dans le secteur informel. Mais c'est aussi dans ce secteur que la performance du système judiciaire est pire. En milieu rural, les tribunaux entérinent des transactions injustes et souvent les contrats ne sont pas respectés. Tandis que le secteur moderne (le textile en particulier) offre des avantages comparatifs aux investisseurs étrangers, une stratégie économique efficiente et équitable se doit d'établir des liaisons en amont et en aval entre le secteur moderne représentant 5% des entreprises et les 95% des micro entreprises et des PME du secteur informel afin d'obtenir un développement harmonieux. Ce modèle réalisable pour l'économie dans son ensemble est la meilleure façon d'augmenter la productivité nationale à travers la promotion de l'éducation, la formation professionnelle et les programmes de développement des compétences. Les conditions fondamentales pour réaliser le bond quantitatif recherché par tous pour l'économie haïtienne passent par l'établissement de la confiance entre les Haïtiens en appliquant d'abord et surtout une politique qualitative d'inclusion de tous les enfants du pays. C'est seulement de cette manière que l'épargne de la diaspora (pas seulement les transferts monétaires) peut être mobilisée pour l'investissement privé afin d'atteindre le niveau de 20% du PIB, seuil indispensable pour soutenir une croissance accélérée et pallier au faible niveau des recettes fiscales de l'État.
[1] Gary F. Fairchild, Christina D. Storz and Timothy G. Taylor, "A Primer on Exporting to Haiti", Department of Food and Resource Economics, Institute of Food and Agricultural Sciences, University of Florida, Gainesville, Florida, March 2008.
[2] Groupe de Travail sur la Compétitivité (GC) avec la collaboration du groupe OTF, Vision Partagée pour une Haïti Inclusive et Prospère, Rapport Préliminaire, P-a-P, Haïti, Juillet 2009, p. 10.
[3] Leslie Péan, « Haïti : Les Transferts Financiers de la Diaspora et le Financement du Développement d'Haïti », Le Nouvelliste, 18 Août 2009.
[4] Groupe de Travail sur la Compétitivité (GC) avec la collaboration du groupe OTF, Vision Partagée pour une Haïti Inclusive et Prospère, Ibid., p. 40.

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