vendredi 11 septembre 2009

Comment forcer la MINUSTAH à quitter Haiti?

Par Cyrus Sibert
Radio Souvenir FM, 106.1 : souvenirfm@yahoo.fr
Le Ré.Cit. : www.reseaucitadelle.blogspot.com

Le jeudi 19 juin 2008, suite à la vague de kidnapping qu'a connue la ville du Cap-Haitien, une délégation de haut niveau était en visite dans la ville du Cap-Haitien*. Durant le débat sur la situation et les mesures à adopter tenu au local de Délégation du Nord, nous avions posé les ''vraies'' questions. Nous avions rappelé aux élus dans la salle - Sénateurs, Députés et Maires - qu'ils n'étaient plus en campagne ; Nous n'étions pas venu assister à la rencontre pour écouter de nouvelles promesses, encore moins, nous n'allons pas accepter qu'ils se mettent à critiquer - comme les dirigés - l'état de la situation. Réseau Citadelle avait rejeté d'entrée de jeu la solution démagogique qui consistait à prôner ''la peine de mort''. Les élus doivent présenter le bilan en rapport à leur plan de sécurité. Cette approche nous a valu l'invitation d'un responsable de la MINUSTAH pour une discussion privée et plus élaborée sur la situation haïtienne. Une rencontre privée que nous devions garder confidentielle car il n'était pas le porte parole de la MINUSTAH, son intervention était satirique, sans précaution oratoire.

Une semaine après la visite de la délégation de Haut-niveau composée du DGPNH Comm. Mario Andrésol, du Sénateur Kelly Bastien Président de l'Assemblée Nationale, du Secrétaire D'Etat à la Sécurité Publique Luc Eucher Joseph, du Ministre de la Justice Me René Magloire, des Députés Hugues Célestin et Eddy Jean-Pierre dit Briguel, de l'Inspecteur Général de la PNH Comm. Fritz Jean ..., nous avions reçu un appel nous invitant à la dite rencontre.

Arrivés au Bureau Régional de la MINUSTAH, nous avons rencontré notre interlocuteur. Il a commencé l'interview en ces termes :

Interlocuteur: Bonjour Cyrus. Content de vous rencontrer.

Reseau Citadelle: Sentiments partagés monsieur.

Interlocuteur : Je vous félicite pour votre intervention la semaine dernière. Je pense que vous avez eu le courage de poser la bonne question. Ce n'est pas facile de trouver des journalistes courageux pour dire aux gouvernants : nous n'allons pas tomber dans votre discours démagogique. Il faut toucher le problème sérieusement et proposer des solutions. Si tous les journalistes font comme vous, les gouvernants seront obligés de trouver les ''vraies'' réponses. Ils sauront que leur discours démagogique ou populiste ne passera pas. Ils seront censurés par les médias. Car en fait le problème du kidnapping dans le Nord passe par des solutions techniques. Les politiques doivent avoir une vision de la sécurité, un plan de sécurité. Vous avez bien fait de démasquer leur manipulation qui consistait à prôner le rétablissement de la peine de mort pour résoudre le problème. Le pire est qu'il y avait des applaudissements. Dans une assemblée qui est sensée constituée de l'Elite dirigeante avec des Sénateurs, des députes et des membres de la société civile du Nord, le débat n'était pas de niveau. C'est le cas à chaque réunion regroupant les dirigeants haïtiens, des leaders politiques et des membres de la société civile. On est souvent déçu du sérieux de la rencontre.

Réseau Citadelle : Mais vous avez pu constater qu'en fin de meeting, des voix s'élevaient contre la MINUSTAH. On exigeait le départ de la mission de l'ONU. Qu'en pensez-vous ?

Interlocuteur : C'est là tout le problème. Nous rendons service à la population haïtienne. Nous supportons les élus dans leur travail. Pour la réunion, ils sont venus avec nous à bord d'un hélicoptère des Nations Unies. Nous supportons les projets d'Haïti devant les bailleurs de fonds, nous défendons les frontières, nous renforçons la PNH, nous constituons une force de stabilisation qui favorise le jeu politique avec des cadres civiles et militaires. Alors, quand on n'a rien à dire, on jette la responsabilité sur la MINUSTAH. C'est de la pure démagogie !

Cyrus, nous savons que la mission de l'ONU en Haïti, ne peut être à durée illimitée. Une mission a un début et une fin. Il y a beaucoup de demandes de la présence de l'ONU à travers le monde. Des pays plus importants économiquement, stratégiquement, géographiquement comme le Darfour et la Somalie ont besoin de mission de l'ONU. Les contributions de l'organisation en ressources humaines, matérielles et financières ne sont pas illimitées. Nous espérons quitter Haïti. Ce sera une réalité l'un de ces jours. Mais, en tant que journaliste, observateur de la situation sociopolitique du pays, qu'est ce qui ce fait pour favoriser ce départ ? Rien ! On n'a pas besoin de réclamer notre départ. Répondez plutôt à cette question : qu'est ce qui se fait pour rendre notre présence inutile ?

A chaque fois que je prends part à des rencontres comme celle qu'on a eue la semaine dernière, je deviens plus pessimiste. En rentrant à mon bureau, je me suis dit : Mon Dieu nous n'allons pas réussir cette mission.
L'obsession de tout missionnaire est de réussir sa mission. En Haïti, vous n'avez pas l'impression qu'une société civile est en train de redéfinir des paradigmes, des valeurs, des principes et se préparer à prendre les choses en main. Votre société civile dépend de l'Etat. Finalement, elle devient complice de cet Etat corrompu, irresponsable et en faillite. En conséquence, ça n'avance pas. La communauté internationale et le peuple haïtien se retrouvent prises aux pièges d'un cercle fermé : Etat –société civile- Etat, tous les deux corrompus, irresponsables, démagogues et incapables d'assurer la relève.

Nous voulons bien quitter Haïti ! Mais le Conseil de Sécurité n'est pas irresponsable. Il ne pourra pas retirer ses forces et abandonner Haïti – membre fondateur de l'ONU - au chaos renforçant le caractère déstabilisateur de cet Etat pour la région. Ceux qui veulent vraiment le départ de la MINUSTAH doivent travailler en ce sens. Cela ne doit pas être un slogan au service des dirigeants incapables de rendre des comptes, ni de faux leaders à la recherche d'une réputation ''nationaliste''.

Toute la solution passe par la société civile. Il n'y a rien de sérieux pour le moment. Il y avait dans mon pays des troupes étrangères après la 2e Guerre Mondiale. Je sais de quoi je parle.

Réseau Citadelle : L'Armée haïtienne pouvait faire le travail mieux que vous.

Interlocuteur : Franchement Cyrus, je lis vos textes sur le web. Je sais que vous êtes un défenseur des militaires haïtiens. Mais franchement évaluons la situation : les composantes de l'armée sont trop politisées. Les soldats sont très âgés. Une remobilisation entrainerait des cas de vengeances – des cas de violation des droits humains. Ils ne seront plus motivés par la défense du territoire. Ils chercheront plutôt à rattraper le temps perdu. Une situation qui compliquerait la situation fragile que nous essayons de stabiliser. Une force militaire doit être guidée par une vision nationale. Vous n'avez pas cette vision. Il faudrait une doctrine militaire capable de définir clairement : une armée pour quoi faire et comment l'utiliser. Toutes ces questions sont la tache de la société civile dans le sens le plus large du terme. Nous reconnaissons que la démobilisation de toute l'institution militaire en 1994 a été une erreur. Il faut travailler sur le dossier en termes d'engagement de l'Etat envers ses anciens fonctionnaires. Mais, il faut voir l'avenir. C'est sûr qu'un jour nous aurions à travailler là-dessus. Mais les haïtiens doivent avoir une proposition, une idée claire de ce qu'ils veulent. C'est le travail d'une société civile forte. Toutes les grandes démocraties sont construites sur cette base solide. En attendant renforçons la police, construisons une culture de ''force publique apolitique sous les ordres des autorités civiles''.

Les gens qui exigent de façon irresponsable le départ de la MINUSTAH sont amnésiques. Haïti était au bord d'une guerre civile généralisée. Le pays était occupé par des bandes armées - gangs et des groupes de militaires démobilisés disparates - qui faisaient la loi dans leur région. La PNH n'avait pas assez d'effectifs, les policiers étaient démotivés, les commissariats étaient occupés par des soldats de Guy Philippe ou par des partisans armés d'Aristide. Les trafiquants de drogue en ont profité pour renforcer leurs activités criminelles en utilisant des contacts au niveau des différentes bandes armées. On avait livré le commerce, les banques et les bureaux publics aux pillages. Le siège du pouvoir -le Palais National - n'était pas sécurisé. Alors, nous ne prenons pas au sérieux ces gens qui ne savent rien de la situation. S'ils étaient conscients de la réalité du pays, ils auraient pu comprendre les efforts consentis par les casques bleus et la contribution de la communauté internationale. Ces gens voient leurs intérêts dans le chaos. La MINUSTAH a perdu des hommes, des étrangers se sont fait tuer pour aider les haïtiens à rétablir le minimum qu'ils ont aujourd'hui. Alors que veulent-ils ? La CARICOM et l'OEA n'ayant pas les moyens de mener une mission de ce genre, il ne restait qu'à accepter que le voisin se protéger par une invasion. Le soldat dominicain tué par les rebelles en 2004 pourrait justifier une opération de la République voisine sur le sol haïtien. C'est la situation classique. En Somalie, des soldats éthiopiens ont fait le travail. Ces gens feraient mieux de remercier l'ONU et de profiter de notre présence pour mettre de l'ordre et éviter une répétition de la violence en Haïti. Car, en dix ans, l'ONU est intervenue deux fois en Haïti. L'organisation n'est pas toujours au rendez-vous. Les Rwandais n'avaient pas cette chance.

Nous avons finalement traité d'autres sujets d'actualité comme l'Attaque contre la coopérative de Saint-Raphaël, le Mouvement des militaires démobilisés et les Gangs proches d'Aristide, des questions sur lesquelles notre interlocuteur était ferme : nous avons les forces nécessaires pour repousser toutes agressions armées. Nous sommes ouverts au dialogue, mais cela ne veut pas dire que nous allons accepter la violence. Nous sommes sous le chapitre 7 des Nations Unies, dont Haïti est un membre, qui autorise l'utilisation de la force dans cette mission. Nous pouvons être patients dans un premier temps, mais comme vous l'avez vu avec Dread Wilmer, quand il faut y mettre un terme, nous sommes prêts à frapper.
Aussi, avions-nous débattu le comportement de la PNH lors des émeutes de la faim en Avril 2008. Il a exprimé les préoccupations face à de tel comportement de la PNH qu'on qualifierait de politique. La MINUSTAH a observé une neutralisation de la Police Nationale face aux émeutiers. « La MINUSTAH voit là un danger. Il faut enquêter là-dessus et porter des corrections. Car, le rôle d'une force de police est de réagir quand il y a désordre. Le fait de rester passive est un signe de complicité. » Une façon de nous signifier que les vieux démons sont toujours là. Le travail réalisé en Haïti n'est pas irréversible. La seule garantie, est l'implication d'une société civile solide.

A RESEAU CITADELLE, nous avons décidé de publier cette partie de l'interview pour éclairer ceux qui dans leur élan patriotique et/ou nationaliste exigent le départ de la MINUSTAH. Au moins, à partir de ce texte, ils sauront par où commencer.

RESEAU CITADELLE (Le Ré.Cit), le 11 septembre 2009, 19 heures 30.

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