lundi 15 juin 2009


Femmes haïtiennes enceintes ou la course à l'autre nationalité pour leur bébé.
Source: www.kitelmache.net

Depuis cette dernière décennie, il se développe un phénomène d'une portée sociologique, pour le moins, inquiétante pour l'avenir du pays. De plus en plus de femmes enceintes laissent Haïti à chaque fois que se présente l'occasion pour se faire accoucher à l'étranger. C'est la course effrénée vers n'importe quelle autre nationalité pour leur progéniture sauf la leur. Ces mères et/ou futures mères sont en général issues de la classe dite moyenne, des intellectuelles et des professionnelles ayant un statut socio-économique relativement élevé.

Une fois la grossesse confirmée par leur gynécologue, pas question que la date d'accouchement leur surprenne en Haïti. Le cas échéant, le nouveau-né sera un haïtien. Le père et la mère s'ennuient à l'idée que leurs progénitures puissent avoir la même nationalité qu'eux, et, qui pis est, la nationalité haïtienne en plus. Disposant d'un visa quelconque, elles partent à la va-vite utilisant toutes les astuces, les unes plus ingénieuses que les autres, pour cacher le ventre dodu.

Quand le visa est obtenu dans une phase avancée de la grossesse, certaines mères arrivent même à mettre la vie de leur fœtus en danger par des procédés de ''kache vant'' inimaginables pour tromper la vigilance de l'agent de l'immigration américaine. Il faut coûte-que-coûte ‘'fuir'' les maternités locales.


Les Etats-Unis, le Canada et la France figurent, par ordre d'importance, parmi les destinations favorites (ou nationalité favorite) pour donner naissance. Quand ces consulats leur refusent les visas d'entrée (un cas très fréquent), elles se rabattent sur le choix desespéré de la République Dominicaine (eh oui, la République Dominicaine...). En fait, toute autre nationalité fera l'affaire mais jamais celle d'Haïti.


Un fait social très peu abordé


La délicatesse et la compléxité du sujet mettent la presse ''pale anpil'' en mode bouche cousue. Même statut pour les sociologues. Si on a pas encore un bébé américain, on rêve tous d'en avoir un. Malgré le caractere ''agressif'' de ce fait social, il ne suscite nullement de débats profonds dans la presse ou la société compte tenu de son incidence sur l'avenir du pays si on s'en tient aux prescrits constitutionnels relatifs à la double nationalité. Nous risquons de nous retrouver dans 15 ou 20 ans avec des milliers de jeunes professionnels qualifiés et uniques ressources viables pour prendre en charge les administrations publiques et privées du pays mais tous de nationalité ‘'étrangère''.


Dans les coulisses, pourtant, plus d'un se sentent concernés par l'envergure que prend ce phénomène au jour le jour et tentent d'en chercher des explications qui, si elles ne sont pas, scientifiques, voguent sur le superficiel. Vu les conditions infrahumaines dans lesquelles vivent la majeure partie de la population haïtienne, il n'est pas étonnant que l'haïtien soit dégouté de son pays, de son histoire, de sa nationalité. C'est pourquoi il joue pieds et mains pour que sa descendance ne soit pas ce qu'il est et ne vit ce qu'il vit. Une situation tout à fait compréhensible.

Avantages de n'être pas Haïtien...


Il convient par là-même de souligner les nombreux avantages et bénéfices pour un enfant né à l'étranger surtout sur le territoire américain, le plus convoité par les familles haïtiennes. Pour les parents qui décident de laisser l'enfant aux bons soins d'une sœur, d'une tante ou d'une grand-mère, l'éducation (cantine incluse) de celui-ci est prise en charge totalement par l'Etat américain quand chez nous l'école à plusieurs échelles sociales, donc discriminatoire, représentent un casse-tête économique pour les familles de la classe dite ‘'moyenne''. N'en parlons pas pour les laissés-pour-compte.


Si l'enfant grandit là-bas, il parlera anglais comme un américain mais pas notre créole ostracisé ou le français bancal enseigné dans la majorité des écoles haïtiennes. S'il grandit ici, il n'aura pas à se faire refuser un visa (objectif numéro 1 de tout haitien) quand le besoin de voyager se fera sentir. Toutefois, il semblerait que la majorité des enfants nés sur un territoire étranger de parents haïtiens sont éduqués en Haïti (primaire et secondaire)...donc de bons petits haïtiens natif-natal, parlant français et créole et pas un mot d'anglais. Ce que je pourrais appeler : des américains de passeport (sans la langue, sans l'éducation, sans la culture). Donc, de bons haitiens avec tous les défauts et qualités liés à leur ''nationalité'' mais munis de passeports américains pour les besoins de voyage et probablement d'études universitaires.


Un état qui n'inspire plus confiance


L'Etat est passé d'une indifférence aigue à une insouciance chronique face aux déboires quotidiennes de ces citoyens. C'est à raison de se demander quoi espérer d'Haïti dans les 10 ans à venir ? Quoi espérer pour nos fils et filles qui doivent un jour ou l'autre prendre la relève?

Par ailleurs, le réflexe de l'Haïtien à doter sa descendance d'une nationalité autre que la sienne semble être très calculé dans la mesure où, même si ça dérange quelque part, permet de projeter certainement l'avenir de ses enfants. Chak koukouy klere pou je w ! Voilà un proverbe de l'imaginaire haïtien qui semble bien dicter ces ‘'mesures preventives''


Cette histoire d'aimer la patrie ou d'être fier de sa nationalité, à quoi ça lui a-t-il servi et lui sert encore, si ce n'est de le dire pour le dire et le dire encore pour ne pas le faire? Et si l'haïtien aime sa patrie sans se sentir aimé en retour par elle, cet amour ne sera pas authentique. Et l'on sait que l'haïtien a toujours manifesté un amour, aussi subtil soit-il, pour sa patrie, même en dépit de son inconfort grandissant.

L'Haitien a peut-être raison d'avoir une attitude aussi aigre à l'encontre de son pays ou des gouvernants, pour être plus exact. Pourquoi les haïtiens choisiraient-ils de laisser leur pays, parfois au péril de leur vie dans des conditions inhumaines et éhontées si celui-ci leur avait offert le minimum ? Pourquoi des femmes haïtiennes devraient-elles aller se faire accoucher à l'étranger en quête d'une autre nationalité pour leurs enfants s'il y avait de quoi être fière de la leur ?

Etre Haïtien aujourd'hui


En fait, un pays dirigé par des hommes et des femmes qui se délectent de tafya et planifient l'avenir du pays sous effet 5 étoiles, c'est normal que les choses soient ce qu'elles sont aujourd'hui. Voilà pourquoi l'haïtien se sent dépourvu de tout sentiment d'appartenance à la Res Publica et semble étrange à toute notion d'haïtienneté. Chacun pour soi, voilà la maxime de sa vie et le mobile de son agir, même si c'est au détriment de sa patrie et de sa citoyenneté. Il reproduit dans un cycle normal l'insouciance qu'affichent les hommes et les femmes aux timons des affaires publiques. Ces hommes et ces femmes qui ne se préoccupent que de leurs poches, de leurs ti fanmi, de leurs ti mennaj au détriment du pays.


D'ailleurs, beaucoup sont ceux qui, dans l'arène du pouvoir, embarquent leurs femmes enceintes à bord du premier avion pour aller donner naissance ailleurs. Cependant, quand le débat sur la double nationalité fait rage à la radio, ils sont les premiers à monter au créneau pour défendre la ''constitution''. Mais, en fait l'objectif inavoué est de détruire leurs adversaires politiques, pour la plupart, victimes d'un système féodal basé sur le clientélisme et la médiocrité en guerre ouverte contre l'intelligence.


A analyser l'incidence du phénomène d'accouchement à l'etranger sur l'avenir d'Haïti, il est évident que dans quelques décennies la plupart des Haïtiens seront d'origine mais pas de nationalité. D'où vont se poser les problèmes d'identité, d'inégalité sociale, de discrimination, d'accession aux postes électifs et tout le bla bla bla constitutionnel que l'on connait. Comment y remédier pour ne pas en arriver là ?

Il incombe à l'Etat de prendre conscience de ses attributs, de montrer, même pour une fois, qu'il est capable de prévenir au lieu d'essayer lamentablement de guérir comme c'est toujours le cas. Il faut arrêter un train de mesures préventives pour que la problématique de la double nationalité ne soit une épée de Damoclès perchée sur la tête du pays. Il faut qu'il soit abordé et reglé sans démagogie, sans dilatoire et ceci le plus tot possible dans un debat inclusif (Etat, société civile et diaspora)


Etre haitien ne se résume pas seulement à l'emblème flanqué sur la couverture d'un passport mais d'un état d'ame, d'une histoire, d'un sentiment d'appartenance à un morceau de terre, d'une langue, d'une culture, d'un rêve de changement caressé par tous pour ce pays.

Avec le volume de naissances à l'étranger, il sera difficile pour ne pas dire impossible de trouver des cadres qualifiés dans 20 ou 30 ans qui ne soient pas de nationalité ‘'étrangère'' mais de parents haïtiens. Que faire donc?

Il revient donc à l'Etat de créer un cadre de vie adéquat où chaque citoyen haïtien, né ici ou là-bas, mulâtre, blanc ou noir, peut éprouver un sentiment de bien-être et se sentir bien chez soi. Il n'est pas nécessaire d'attendre les ordres de l'etranger pour le faire. Il est temps que nous agissions de par nous même, en faisant ce qui est dans l'intérêt de chaque haïtien et de tout haïtien. Il est temps que nous soyons conscients que l'avenir d'Haïti dépend des Haïtiens, même si cet avenir parait incertain et même lointain, mais avenir quand même.


Pierre Negaud Dupenor | Licencié en Communication Sociale
Faculté des Sciences Humaines |UEH
negaud@yahoo.fr

Source: www.kitelmache.net
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