samedi 4 avril 2009

Inauguration du monument au Général Dumas, place du Général-Catroux à Paris






Allocution de Claude Ribbe samedi 4 avril 2009 à l'occasion de l'inauguration du monument au général Dumas, place du Général-Catroux à Paris en présence du maire de Paris, M. Bertrand Delanoë, et du Commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, M. Yazid Sabeg.


Monsieur le Maire,
Monsieur le Commissaire,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames, Messieurs,

Il en aura fallu du temps pour que l’injustice faite au général Dumas soit enfin réparée. C’est ici même, place du général-Catroux, jadis Malesherbes, que les Trois Dumas avaient été réunis en effigie dès 1912 pour être séparés trente ans plus tard par les collaborateurs. Les voici de nouveau ensemble grâce à la ville de Paris.


Le 25 mars 1762, le futur général Dumas naissait esclave avec comme seul patrimoine deux prénoms : Thomas-Alexandre. C’était à Jérémie, une ville coloniale de la partie française de l’île de Saint-Domingue, devenue aujourd’hui République d’Haïti. Son père ? Un colon déclassé issu de l’aristocratie normande. Sa mère ? Une esclave d’origine africaine qui servait de compagne. Le sinistre code noir régissait le sort et de la mère et de l’enfant. Le père revint en Normandie et vendit son fils de treize ans pour payer la traversée avec une clause permettant le rachat. Le jeune Thomas-Alexandre arriva au Havre en 1775 sous un faux nom. C’était un sans papiers et rien ne le destinait à être plus honoré que ne le sont les sans papiers d’aujourd’hui. En 1786, il choisit un métier – l’armée – et un pseudonyme - Alexandre Dumas. Dans le régiment de cavalerie des dragons de la Reine, il rencontre trois amis. À Villers Cotterêts en 1789, il fonde une famille avec Marie-Louise Labouret, la fille d’un aubergiste. Comme beaucoup de Cotteretziens, comme beaucoup de Français, les Labouret méprisaient les préjugés et reconnaissaient un homme à sa valeur, pas à sa couleur ni à son accent, ni à sa religion. La Révolution fit d’Alexandre Dumas un général d’armée et un héros. À Villers-Cotterêts, ce fut et c’est toujours le Général, la fierté du pays. À trente deux ans, à la tête de 45 000 hommes et d’un état major de 17 généraux, il s’élance à la conquête du Petit-Saint-Bernard et du Mont Cenis. En brave officier de la République, il ne marche pas derrière ses troupes, mais toujours à leur tête. Il croit à des valeurs simples telles que l’honneur, le courage, la liberté, l’égalité et la fraternité. Ses exploits militaires en France, en Italie, font de lui l’égal d’un chevalier Bayard, d’une Jeanne d’Arc, et, bien sûr, d’un d’Artagnan. Car d’Artagnan c’est lui.


Le général Dumas n’était pas qu’un combattant. C’était aussi un homme qui croyait en l’homme. Il sut le montrer lorsque, nommé commandant en chef de l’armée de l’Ouest, il démissionna avec éclat, préférant briser son épée plutôt que de massacrer les civils de Vendée. Par le respect dont il fit preuve vis à vis des prisonniers de guerre, c’est l’un des plus grands soldats de tous les temps dont le nom devrait être inscrit au fronton des académies militaires.


Mais le général Dumas n’obtint pas, de son vivant, sa part de gloire ni la reconnaissance de la nation à laquelle il avait tant donné. Bonaparte, qui l’admirait, sans doute, mais qui le jalousait aussi, s’acharna contre lui. En 1802, décidant de revenir sur l’abolition de l’esclavage décidée pendant la Révolution et de mettre dans les fers les citoyens français de toutes les colonies sur le seul fondement de la couleur de leur peau, le Premier consul mit en vigueur sur le territoire national une réglementation raciste qui interdisait aux militaires descendants d’Africains non seulement de commander aux Européens mais de résider dans un périmètre de moins de cent kilomètres de Paris, une réglementation qui interdisait aux soldats dont la peau était la plus sombre de résider ailleurs que dans les Pyrénées orientales ou les Alpes maritimes, une réglementation qui proscrivait les mariages dits « mixtes » entre civils, une réglementation qui interdisait aux « nègres et autres gens de couleur » qui ne s’y trouvaient pas déjà d’entrer sur le territoire français. Titulaire d’un sabre d’honneur qu’il avait pourtant reçu de Bonaparte à Alexandrie en juillet 1798, le général Dumas était membre de droit de l’ordre national de la Légion d’honneur créé le 19 mai 1802. Mais l’exercice de ce droit et l’entrée dans cet ordre lui furent interdits à cause de la couleur de sa peau.


Le général Dumas mourut de chagrin et de honte d’être chassé de l’armée, d’être visé par des textes aussi odieux, aussi injustes, aussi contraires à tous les principes qu’il avait défendus les armes à la main et au péril de sa vie.


Il laissa une veuve sans ressources et deux orphelins dépourvus de toute aide de l’État pour survivre et accéder au savoir. Et pourtant, l’un de ces orphelins, guidé par l’amour qu’il portait à un père si cruellement traité, est devenu, grâce à son talent et à sa persévérance, l’écrivain français le plus lu dans le monde. Pour honorer ce général qui lui avait donné la vie, il reprit ce pseudonyme d’Alexandre Dumas et en fit un nom encore familier à tous sur tous les continents. Il transfigura les aventures du général et de ses compagnons dans Les Trois Mousquetaires et sa revanche fut de faire du proscrit de 1802 un Gascon admiré de tous ceux qui n’auraient jamais voulu s’identifier à un « nègre ». Sa statue est ici. Un troisième Alexandre Dumas, fils et petit-fils des précédents, auteur de La dame aux Camélias s’installa dans ce quartier Sa statue est là-bas. Même si ses yeux bleus et ses cheveux blonds ne trahissaient pas ses origines, il n’oublia jamais d’où il venait. Il n’oublia jamais que ses ancêtres avaient soufferts. Ils souffriraient encore aujourd’hui, hélas. Car l’esclavage a été aboli depuis bien longtemps. La France a perdu ses colonies. Mais le racisme de 1802 continue à gangrener le pays des Dumas comme un cancer qui ne dit pas toujours son nom. S’il en était autrement, le glorieux général aurait-il été chassé des livres d’histoire et de la mémoire de son pays comme il a été chassé de l’armée ? Oui, l’obsession de classer les Français par la couleur de leur peau et d’opposer le noir au blanc continue de transpirer dans bien des discours, même ceux qui sont pavés, en apparence, des meilleures intentions. La France doit en finir avec ce fléau si elle ne veut pas que l’idéologie coloniale de jadis dégénère aujourd’hui en guerre civile non seulement outre mer mais aux portes mêmes de cette ville, dans les ghettos où l’on relégué les proscrits d’aujourd’hui. Les damnés de la France, descendants des indigènes et des esclaves, quel héros leur a-t-on laissé ? Quel rêve pour eux, hormis les réussites étrangères ? Alors qu’on leur rende au moins, ici et maintenant, ce géant là qui leur ressemble. Qu’on le rende à tous les Français ce héros qui peut les rassembler. Et qu’on réintègre enfin le général Dumas dans l’ordre national de la Légion d’honneur où il a sa place plus que tout autre. En attendant, ces fers d’esclaves brisés que la ville de Paris lui donne, eh bien nous nous les approprions. Rendez-vous à toutes celles et à tous ceux qui sont ici aujourd’hui le 10 mai prochain afin de célébrer, en ce même lieu, devant les fers de Driss Sans Arcidet, à travers ce héros issu de l’esclavage, l’abolition de la servitude, la gloire des esclaves venus d’Afrique et celle de tous leurs descendants.

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