jeudi 5 juin 2008

Analyse hébdomadaire du Doyen Gérard Etienne : DU TERRORISME D’ETAT AU TERRORISME SOCIAL

LA REVOLUTION (TRANQUILLE) HAITIENNE (183).
DU TERRORISME D’ETAT AU TERRORISME SOCIAL
LA LONGUE MARCHE VERS LE CHANGEMENT.

Dr Gérard Etienne.

Notre peuple est victime de nos propres insuffisances intellectuelles puisque nous pratiquons le marronnage linguistique en refusant d’appeler un chat un chat et Conzé un fripon : parce qu’en appelant président « un chef d’État proclamé,» non élu à la majorité absolue 50+1 nous créons un tas de contradictions dans lesquelles se perdent nos 80% d’analphabètes. Et voilà que, sans le savoir peut-être, : nous utilisons le langage de nos bourreaux pour nommer des réalités tragiques qui nous empêchent de vivre au lieu d’appliquer à nos discours une sémantique appropriée aux crimes à fleur de terre à Port-au-Prince. Autre preuve l’emploi quotidien du terme de bandit à la place de terroriste. Alors qu’il y a un glissement sémantique au terme de bandit (ce que les dictionnaires appellent le sens figuré,) le terme de terroriste se pose avec une précision non camouflée par quelque nuance : « membre d’une organisation politique qui use du terrorisme comme moyen d’action, qui exécute des actions du terrorisme.» Et le terrorisme : « Emploi systématique de la violence (…) pour atteindre un but politique (prise, conservation, exercice du pouvoir) et spécialt. Ensemble des actes de violence (attentats individuels ou collectifs, destructions) qu’une organisation politique exécute pour impressionner la population et créer un climat d’insécurité. Le terrorisme peut être une méthode de gouvernement » (Robert, éd.1968, p.1950).

Cette définition traduit objectivement la tragédie qu’Haïti traverse depuis 1994. En effet un mouvement politique a choisi comme moyen d’expression la violence systématique a) pour exercer le pouvoir et b) pour le gouverner à vie. L’objectif jusqu’à présent est atteint puisque le mouvement met le grappin sur le pouvoir politique, ça fait déjà dix-huit ans, ce qui fait de la population du pays un ensemble social à bout de souffle tombant sous les coups de massue non interrompus des Bossales malfaiteurs .Et parce qu’ils sont au pouvoir, le peuple est donc soumis à un terrorisme d’État. Si puissant qu’il influe sur toute la vie sociale au point que personne, même à l’étranger n’ose critiquer le Roi et les Barons du régime pervers au Palais national et à la Primature. On a pensé, à un moment donné, que Lavalasse ayant démantelé les Forces Armées d’Haïti pour les remplacer par une armée sud-américaine d’occupation, on a pensé disons-nous que l’État haïtien allait faire un tout petit pas vers une démocratie à la hauteur d’un petit pays civilisé. Rien que pour prouver aux puissances donatrices (particulièrement les États-Unis) la capacité des Nègres à bien gérer les sommes substantielles d’argent (on parle de 70p.c. du budget national) tiré du portefeuille des contribuables. Mais on aura beau écrire, beau crier contre une classe d’hommes pour qui le crime est le seul moyen d’imposer à la nation une domination tyrannique; on aura beau se référer à des actes ignobles pour bien montrer le poids de notre enquête sur un dossier qui normalement devrait interpeller la CIA ou la DEA, le Grand Chef comme ses maîtres à penser Staline et Pol pot renforce, à la barbe du pays et du monde, son dispositif de répression en nommant à la tête des commissions et des organisme d’État des éléments déjà identifiés comme les auteurs du meurtre, à la suite parfois de tortures physiques d’honnêtes citoyens. Et cette fois-ci le grand Chef impose le choix de ses principaux lieutenants sans tenir compte de la réaction des masses, sans tenir compte aussi de la mise en garde de tous les leaders d’opinion de la diaspora (ceux de l’intérieur sont censurés et ne peuvent courir le risque de mettre une torche enflammée sous la queue des animaux à visage d’homme).
Tout Port-au-Prince connaît parfaitement bien la tribu prévalienne chargée de mettre le terrorisme d’État en mouvement. Les principaux déjà identifiés se retrouvent à la tête d’une commission présidentielle et un organisme d’État. L’un d’entre eux était le major général de l’Opération Bagdad 1 qui a fait 1991 morts et 119 policiers criblés de balles. Un autre est le petit chef d’un micro-organisme après avoir purgé trois ans de prison aux États-Unis pour activités criminelles. On parle d’un éventuel Chef de régiment qui comblerait le poste tant convoité de Jacques E. Alexis. Celui-ci coordonnerait assurément tous les mauvais coups des terroristes d’État.

Nous en voulons pour preuve probante à notre hypothèse une pièce historique d’une importance capitale. Il s’agit d’un réquisitoire que l’ancien Sénateur Irvelt Chéry avait remis à notre collègue le Dr Stanley Lucas. Ce réquisitoire était donc rendu public et il était adressé à tous les commissaires du gouvernement de la République, à tous les Doyens des tribunaux civils de 1ère instance, à tous les juges d’instruction et autres officiers de justice du territoire. L’auteur de ce document en situe assez bien les déterminants : « Citoyen haïtien, écrit-il, je souffre autant que mes compatriotes de l’horrible situation d’injustice et d’impunité qui caractérise le contexte actuel d’une société haïtienne déstructurée. Sénateur de la République, dûment élu et représentant le peuple haïtien dans sa quête de justice sociale (…) je me trouve dans l’obligation de DENONCER (nous soulignons) par-devant vos juridictions des actions abusives qui ont choqué et endeuillé la population haïtienne durant plusieurs années (janvier 1995 à nos jours 17 novembre 2000) et dont les auteurs connus ne sont pas jusqu’à présent poursuivis par la justice. Cette situation d’impunité semble plutôt élargir indéfiniment le cadre du crime organisé en Haïti » Après avoir regroupé les crimes d’État en cinq catégories, nous classerons :
a)les assassinats suivis de morts d’hommes ou de femmes (49)
b) les cas de massacres de plus de trois personnes tuées ou blessées (10)
c)les scandales financiers, détournements des fonds et autres crimes économiques (cas de faux chèques émis au préjudice du Ministère de l’Économie et des finances et dépassant 100.000.000. de gourdes jamais résolus)
d) le cas du détournement des fonds de la République de Chine (Taiwan) d’un montant de 20.000.000$US pour la réfection de la route de Carrefour.
e)le scandale de la vente illégale de six avions des anciennes Forces Armées d’Haïti.
f) les plus de cent millions de gourdes des petits projets de la présidence
g) la corruption dénoncée par la banque mondiale dans la gestion d’un projet de 50.000.000 de $ d’après le Wall Street Journal, édition du 26 janvier 1999
h) le détournement des fonds budgétaires élevés à 60 millions de gourdes
i) les incendies criminelles à Jérémie en décembre 1999 et plus récemment à l’Anse D’Hainaut, à Port Salut, à Aquin.

Maintenant les hommes de pouvoir et le terrorisme, ce qui nous autorise à parler d’un terrorisme d’État. L’auteur du réquisitoire a cité les nom et prénom de 13 personnalités publiques qui ont occupé des postes importants et qui ont été des acteurs respectés sur la scène nationale et internationale. Même si ces personnalités ont fait des gorges chaudes vu que leur nom figure dans le document, il n’en reste pas moins vrai qu’elles n’ont jamais engagé un avocat pour des poursuites légales à l’endroit de l’auteur..
Et le plus drôle, le plus dramatique dans tout cela, c’est que les acteurs politiques criminels courent les rues. Comme si de rien n’était. Nous voilà donc devant un pouvoir qu’on refuse d’identifier, entendu une présidentielle monarchique avec une cour prête à lui baiser les pieds pour l’obtention des faveurs.

On comprendra alors que du terrorisme d’État au terrorisme social il n’y a qu’un pas à franchir, celui peut-être de promotion dans la hiérarchie des grands. Poser cette hypothèse c’est cerner le terrorisme comme un mal de vivre et aussi comme une entreprise avec ses forces productives, son conseil d’administration, ses institutions financières et juridiques En d’autres termes le crime de Kidnapping est, pour l’heure, la forme la plus raffinée de la rapine bossale dirigée contre les membres d’une société à la suite d’une enquête fouillée sur leurs biens. Il faudrait ici ouvrir une parenthèse pour déclarer que ni les hommes de pouvoir ni leurs proches (parents ou amis) n’ont jamais subi les foudres du terrorisme .Ainsi, on le répète, il n’est pas trop loin le chemin qui conduit du terrorisme d’État au terrorisme social. Étant donnée la plus value d’une terreur organisée et structurée par le pouvoir politique, étant donnée aussi l’impunité dont bénéficient ceux et celles pour qui le genre humain est une blatte qu’on écrase, on va passer à une vitesse supérieure qui sera le kidnapping. Au fur et à mesure que fleurit ce type de criminalité, il va, en quelques mois, devenir un phénomène social, d’où le kidnapping de l’adolescent Kareen Xavier Gaspard (16 ans) enlevé puis torturé (le crâne broyé, la chair brûlée) et assassiné malgré la rançon versée aux terroristes. On parle aussi, dans le même temps, de l’enlèvement d’un bébé de deux ans, de 25 cas de kidnapping depuis le début du mois de mai. D’une vingtaine de personnes enlevées au Cap-Haïtien La mort du jeune Kareen a soulevé la colère et la révolte d’une très grande majorité de nos compatriotes, ce qui a amené MAD. Beatrice Dalen cour-Turnier à produire un texte émouvant. Un extrait :

Pendant que je suis là à rire et à danser
Quelque part, pas trop loin de moi, une
Femme qui crie et qui hurle son chagrin

Pendant que moi je suis là à causer de
De tout et de rien, il y a tout près de là
Une femme dont les tripes viennent
De se nouer à jamais
La douleur qui est la sienne n’a pas de nom
Humain .La douleur qui est la sienne
Ne peut être racontée. Son fils la chair
De sa chair, le sang de son sang vient
De lui être enlevé. Brûlé, torturé; on a retrouvé
Son corps ce matin dans les rues de la
Capitale. Comme un chien ils l’ont lâché,
Laissé dans le caniveau, nu, brûlé, mort.

Gardons-nous de pointer du doigt des (opposé au déterminant les) vagabonds de Cité Soleil comme les auteurs immédiats des actes terroristes. En effet plusieurs réseaux sont actuellement impliqués dans ce crime contre l’humanité. Il y a ce réseau qui tient absolument à la présence de la MINUSTAH en Haïti. Pour cela il convient de multiplier les cas de kidnapping dans le but de démontrer l’utilité de la force onusienne, seule capable d’imposer la sécurité. Il y a un réseau qui investit tout simplement dans une activité criminelle, soit, mais aussi lucrative. On peut donc engager des petits exécutants, ceux qui doivent mettre la patte sur la victime désignée. . Mais il incombera au capitaliste de négocier la rançon vu qu’il est un personnage respecté des institutions financières et du système judiciaire. Et parce qu’il est connu du monde de la finance, il aura des informations pertinentes sur des compatriotes dont les comptes bancaires contiennent beaucoup d’argent. Et en cas de non liquidité pour une rançon le banquier acceptera de bon cœur de faire un prêt sous forme d’hypothèque aux parents de la personne kidnappée, Toutefois il faut aussi inclure dans le processus de négociation Monsieur le notaire qui détient le cadastre d’une propriété hypothéquée. Il y a enfin le réseau politique qui fait payer cher la dissidence .En général la personne kidnappée est assassinée. (François Latour)Certainement chaque cas de kidnapping doit être évalué selon les possibilités financières de la victime.
Quant à savoir si ce crime relève strictement de la politique, nous relativiserons la réponse. Beaucoup de compatriotes ont été purement et simplement massacrés. Rappelons, sous les gouvernements lavalassiens le massacre de cinq proches du Colonel Lamy, le génocide des habitants de Raboteau et de la Scirie.Il y a, dans ces massacres, un fonds certain de politique. Les criminels ne tolèrent pas la dissidence. Sauf qu’il peut bien exister, à côté du terrorisme d’État, un terrorisme social, c’est-à-dire une activité criminelle qui soit une entreprise administrée par des bonshommes qui refusent de passer leur temps derrière le comptoir d’un magasin.

Alors que faire? Commencer à redonner à Lavalasse la monnaie de sa pièce en commençant à nommer les réalités telles quelles sont. Nous savons bien que la presse locale est censurée sur bien des points. Et il serait exagéré de conseiller aux jeunes journalistes une méthode d’enquête qui peut aider à identifier des bourgeois kidnappeurs. Néanmoins il faudra appliquer à nos propos une sémantique fonctionnelle de manière à ce que les puissances qui continuent à cautionner ce mouvement terroriste puissent le mettre dans le même panier que les éternels broyeurs du genre humain.

Dr Gérard Etienne

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