vendredi 30 mai 2008

ANALYSE HEBDOMADAIRE DU DOYEN GERARD ETIENNE

LA REVOLUTION (TRANQUILLE) HAITIENNE (182)

HAITI : LE JOURNALISME DE L’INDIGENCE, (VF)

HAITI OBSERVATEUR. SEMAINE DU 27 MAI 08.

Dr Gérard Etienne.

Haïti, le journalisme de l’indigence. C’est la manchette d’un article rédigé par Mad. Murielle Chatelier, journaliste pigiste. Le texte a été publié dans l’édition du journal LE TRENTE, vol.32, no5, 8 mai 2008. De retour d’un stage de six mois dans les médias de son pays d’origine, la journaliste constate un profond malaise dans lequel vit la presse haïtienne. J’ai beaucoup hésité à réagir à l’argumentation de la pigiste, moins pour quelque sentiment de solidarité, que pour la manière de charger contre une profession qui, à en croire la professionnelle, serait à l’image du sous-développement .Il serait important pour nos jeunes lecteurs et nos lectrices de bien situer le sujet afin d’éviter la sentence trop rigoureuse d’une étrangère.

Car indigence connote détresse, misère, pauvreté, privation .Nous serions donc à des années lumière du vrai journalisme, tel que pratiqué au pays de Québec. Tel n’est pas le cas. La Télévision QUATRE SAISONS vient de fermer les portes de toutes les salles de nouvelles aussi bien de Montréal que dans toutes les régions du Québec. Ainsi à partir de septembre 270 journalistes connaîtront les affres du chômage. Cette mesure draconienne aura des conséquences dramatiques puisque toutes les régions de la province seront privées de nouvelles tant régionales que nationales (étant donné la fermeture des stations).Quant à la presse écrite, elle serait, toutes proportions gardées, dans le même état de privation que celle d’Haïti. A l’exception des médias des grandes villes Montréal, Toronto, Vancouver, Québec (le journal de Québec est toujours en grève pour raison salariale) la profession de journaliste ne se déroule pas dans l’huile. Pour avoir été chroniqueur et éditorialiste à LA VOIX GASPESIENNE, AU PETIT MONITEUR, AU MATIN et au VOILIER (obligé d’interrompre ses livraisons faute d’argent) je peux affirmer que les journalistes recevaient un salaire de misère et ne pouvaient pas respecter les normes les plus élémentaires de la profession. Quand j’avais fondé en 1986 le module INFORMATION / COMMUNICATION de la Faculté des Arts de l’Université de Moncton, le seul bon employeur pour nos diplômés était Radio- Canada alors que dans le programme le cours de journalisme écrit était mieux représenté que les autres cours. La situation n’est guère brillante dans les pays francophones du monde. Au cours d’un congrès international de journalistes que j’avais organisé à l’Université, tous les journalistes, hors le Canada, déploraient leurs conditions de travail et les pressions qu’ils ont sur les épaules face aux exigences des politiciens

Ce bref coup d’œil sur la presse francophone nous permet de commenter l’article de Murielle Chatelier. Cette femme, dès les premières heures au Nouvelliste aurait dû retourner chez elle, faire son stage soit à la PRESSE, soit au DEVOIR, soit au TORONTO STAR. Elle écrit : « Pendant cinq mois j’ai exercé ma profession de journaliste en Haïti au quotidien LE NOUVELLISTE, à Port-au-Prince. Après avoir vu certains collègues emprunter des piles pour leurs caméras—trop chères, surtout quand l’employeur rechigne à les rembourser—j’ai vite compris que je serais livrée à moi-même dans cette aventure » Et plus loin : « Les supermarchés en Haïti sont des lieux de haut luxe qui ne sont fréquentés que par les privilégiés. La bouteille de jus Oasis s’y vend près de 2,50$ comparativement à 1,25$ ici. Les 150$ de salaire ? Le loyer varie entre 200 et 400$ sans compter le téléphone, qui coûte une centaine de dollars, et la nourriture, trois fois ce prix. Chaque mois, mon déficit oscillait entre 700 et 1700 dollars »

Voyez le mécanisme de la désinformation. Quand elle ne repose pas sur le colonialisme, elle va chercher à provoquer la pitié des personnes lectrices. Murielle Chatelier aurait rendu un grand service à la profession si sitôt rendue au NOUVELLISTE elle avait noté cette espèce de privation et alerté immédiatement l’Ambassade de son pays qui j’en suis persuadé aurait fait le nécessaire. Non. La jeune journaliste ne connaît pas l’abc de sa profession. On est ici dans le domaine du journalisme écrit. Les caméras ne sont pas indispensables aux reportages voire aux chroniques (lisez les chroniqueurs de chez vous; leurs textes ne sont pas illustrés.) Et puis Haïti n’est pas le Québec. Quand je faisais du bénévolat au PETIT MONITEUR en Acadie, il n’y avait même pas de chaise dans le petit carré où nous faisions nos réunions. Et le journal, faute de moyens financiers est à la veille de fermer les portes malgré l’intervention à Radio Canada du professeur Marie Linda Lord qui sollicite l’aide du public. Encore un peu nous dirions que Murielle Chatelier n’a jamais suivi aucun cours de sociologie structurale qui se méfie des métaphores pour cerner, étudier, comprendre un fait par lui-même et non par comparaison avec d’autres placés dans un contexte tout à fait étranger. Ecoutez-la :« Dans les médias, le traitement salarial est au cœur des réflexions. Les journalistes sont si mal payés qu’il leur est presque impossible de se contenter d’un seul emploi. En choisissant de devenir journaliste en Haïti, il ne faut pas s’attendre à pouvoir se nourrir, déclare d’entrée de jeu Clarens Renois, chef du bureau de l’Agence France Presse en Haïti » Nous sommes persuadés que la journaliste n’a jamais demandé aux propriétaires des « boîtes » où elle a travaillé de mettre sur sa table de pigiste leurs livres de comptabilité. Elle aurait remarqué que pas mal de journaux sont frustrés au niveau de la publicité qui elle fait vivre dans l’abondance tous les médias écrits et électroniques au pays de Québec. Murielle Chatelier n’a jamais tenu compte de ce facteur sans lequel le journalisme privé ne peut exister. Elle écrira dans son texte : « Pénurie de stylos, de cartes d’appel, de postes téléphoniques, d’ordinateurs, d’accès Internet, de ressources documentaires, de moyens de transport, de matériel technique, la liste est sans fin. Plusieurs journalistes de la radio rédigent les bulletins de nouvelles à la main et utilisent encore des magnétocassettes au son effroyable en ondes»

Ce qui nous dérange dans ce texte c’est une critique par-delà les réalités objectives de la profession.On tire à boulets rouges sur le moindre fait qu’une bonne professionnelle aurait associé au métier qui suppose moult difficultés. Cette fille est allée tellement loin qu’elle s’en prend aux journalistes qui tentent de gagner leur « croûte » de la même manière qu’on le fait dans certaines régions du Canada. Sous le titre ronflant de publi-reportage, elle écrit : « Les journalistes deviennent malgré eux des porte-parole. Des organisations non gouvernementales ou dépendantes de l’état les invitent parfois à couvrir des conférences de presse rémunérées. Au quotidien les organisations ou les acteurs économiques offrent des ristournes à ceux qui couvriront leurs nouvelles. Soulevant la question du conflit d’intérêts et de l’impartialité des journalistes (…) Les journalistes sont donc sollicités directement sur leur lieu de travail pour produire des articles à saveur de publireportage » Ouf. Alors cela n’existe pas ni en Afrique noire ni dans le Maghreb ! Nom de Dieu. Cela n’existe pas non plus en République dominicaine! Pourtant cette femme a perdu la meilleure occasion de rendre service à ses confrères et à ses consœurs en rédigeant un rapport adressé à l’Agence canadienne de développement international (l’ACDI) demandant soit l’ouverture d’une station de radio soit la fondation d’un journal que l’Agence aurait financé elle-même pour un fonctionnement selon les normes professionnelles du Québec. Au lieu d’envoyer le journaliste québécois André Lachance former les journalistes haïtiens sous les auspices du projet Réseau liberté financé par l’ACDI. ,ce journaliste se désole de voir tant de talents se perdre : « J’ai côtoyé bien des journalistes talentueux, mais ce sont les difficultés avant tout qui entravent le travail»

Difficultés bien sûr. Mais nous sommes là devant un problème de société. Sous le régime de Maurice Duplessis le journalisme au Québec n’avait pas connu l’influence qu’il exerce actuellement sur le public. Il a fallu LA REVOLUTION TRANQUILLE pour que la profession devînt un instrument moderne d’éducation et de professionnalisme. Et même là encore il faudrait relativiser. On n’entend plus des reportages à Radio Canada. Ou plutôt on écorche les oreilles de l’auditeur avec des textes éditorialisés. On suit la même méthode d’exposition dans le journalisme écrit.

Et pourtant.

Je recevais un maigre salaire au NOUVELLISTE et à PANORAMA .Cependant j’avais la pleine liberté d’expression au point de soulever la colère de François Duvalier le jour où j’ai rédigé un reportage sur la grève des employés de la compagnie de tabac COMME IL FAUT. Dans la jeune vingtaine j’étais devenu, sans le savoir un leader d’opinion, et mes critiques littéraires étaient bien appréciées du public. Tout cela parce que j’étais bien encadré par Lucien Montas, Joseph Thé venin du Nouvelliste qui m’ont enseigné les techniques du reportage et à PANORAMA Paul Blanchet, Jules Blanchet, Jean Montas Lefranc m’ont appris les techniques de l’éditorial. C’est avec cette formation que débarqué au Canada j’étais tout de suite engagé a« Quotidien Métro Express, à l’hebdomadaire QUARTIER LATIN, que par la suite je suis devenu professeur de journalisme tellement reconnu par l’Administration de mon université qu’elle m’a donné le feu vert pour fonder l’un des plus grands départements à la Faculté des Arts de l’Université de Moncton, soit le département d’Information/ communication.

Oui quelque chose doit changer dans l’exercice du métier en Haïti. Mais pas avec ce type de sermon de la pigiste. Qu’elle lise Cyrus Sibert du Réseau citadelle. Elle se rendra compte que la liberté d’un journaliste vaut mieux que quelques piles pour caméras, que des cartes d’appel voire de ressources documentaires.

Dr Gérard Etienne

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