dimanche 13 avril 2008

3 Réflexions pour mieux comprendre les émeutes de la faim en Haiti.

Alexis n'ira pas seul

Jean Erich René
13 avril 08

La crise politique actuelle loin de se dénouer va connaître d'autres décours. Jacques Edouard Alexis tôt dans la matinée du mercredi 9 avril 2008avait donné sa démission verbalement au Président René Préval. Mais le dernier mot revenait à Mme Alexis qui était en voyage et qui a éclaté de colère en apprenant cette nouvelle de la bouche de son mari au téléphone. Aussi s'est elle empressé de regagner le pays en fustigeant vertement le Premier Ministre qui était venue l'accueillir à l'aéroport. Après une conciliabule entre Me et Mme Alexis, un ministre et le secrétaire général de la Primature, on a fini par convaincre Alexis de ne pas remettre sa démission. D'où le retard qu'a pris René Préval pour prononcer son discours d'apaisement. Mais il a loupé le plus gros morceau qui était l'annonce de la démission de Jacques Édouard Alexis.

Mme Alexis est une vraie Marie Jeanne. A l'instar de Mademoiselle Sandrine de la Croix des Bossales, un beau matin elle n'a pas hésité à descendre au Ministère de l'Éducation nationale pour tirer sa rigoise de son sac et rouer de coups une secrétaire qu'on accuse d'être la maîtresse de son mari. Elle ne lésine pas devant les moyens à prendre pour sauvegarder ce qu'elle a acquis à la sueur de son front. D'un juste courroux elle vole au secours du Premier Ministre en lui demandant de ne plus signer sa lettre de démission. Le 28 février 2008 la Chambre des députés avait donné un vote de confiance au Chef du Gouvernement. Il n'y a plus de provisions légales pour accorder un vote de censure à son mari. Il s'agit d'un abus de pouvoir et
d'un affront qu'on veut faire à son mari qui s'est tant fatigué pour faire de René Préval ce qu'il est devenu. Aujourd'hui il est payé en monnaie de singe. Les arguments de Mme Alexis sont judicieux.


S'il est vrai que la destitution du Premier Ministre est un acte illégal et inconstitutionnel mais le renvoi du Sénateur Rudolph Boulos l'est aussi. Il s'agit d'un antécédent malheureux que Jacques Édouard Alexis devait éviter. La sociologie haïtienne nous enseigne qu'il ne faut jamais apprendre à un singe à lancer des pierres. Vous serez sa première victime. En effet Alexis ne s'attendait pas à se retrouver aussi vite sur le banc des accusés, devant les mêmes macaques qui viennent de manger sa banane et qui se réjouissent de lui casser froidement la tête. En Haïti le pouvoir qu'il soit économique ou politique est attaché à un fil d'araignée. Dans l'espace d'un cillement on peut tout perdre, maison, voiture, magasin etc. Tout le monde est passible du supplice du collier. Même Palais National est sujet au déchouquage. Vaut mieux faire preuve de sagesse dans l'exercice des fonctions publiques en observant les codes de loi.


La résistance de Mme Alexis et sa farouche détermination à porter son mari à garder son poste sont justifiées par le fait qu'elle dirige une Fondation financée à même les caisses de l'État. Elle sera très embarrassée si on lui demande compte de sa gestion. Elle doit surtout éviter de faire le gros dos puisque sa moustache est encore blanche du lait de la Primature. Mimi est un très beau nom mais c'est ainsi qu'on nomme tous les voleurs. Si la Prima Dona insiste et persiste, le Commissaire Claudy Gassant si prompt au devoir bientôt lui décernera un mandat de comparution afin de donner des explications sur cette caisse noire de la Primature qui devrait servir au lancement de la candidature de Jacques Edouard Alexis. Ce même Pot de Chambre qui lui avait donné un vote de confiance le 28 février et qui vient de le renvoyer le samedi 12 avril va dresser une mise en accusation en bonne et due forme. Le PM se présentera devant la Haute Cour de Justice. Il n'y a pas de demi-mesures en politique haïtienne ou bien on est IN ou bien on est OUT.

Le refus de Jacques Edouard Alexis de laisser la Villa d'Accueil va compliquer la situation. Jacques Edouard Alexis n'est pas un enfant de chœur. Il fut l'artificier de la bombe qui avait paniqué le cortège
présidentiel dans les environs de la Cathédrale peu de temps avant le départ de Jean Claude Duvalier. Il est impliqué avec Paul Déjean dans l'explosion qui a eu lieu en décembre 1990 sur la route de Pétion-Ville
lors des campagnes de Jean Bertrand Aristide. Pyromane il l'est! Il est l'auteur intellectuel de la prise de l'hôtel Montana pour exiger du CEP la publication des résultats des élections et déclarer René Préval vainqueur avec les votes blancs interdits par la loi. La Constitution de 1987 est-elle un accordéon que l'on ouvre et ferme à volonté pour écouter la musique que l'on désire. Aujourd'hui il revient au Premier Ministre de récolter ce qu'il a lui-même semé c'est-à-dire l'inconstitutionnalité des décisions politiques.


Fort de son passé d'activiste et doublé d'une femme qui n'a pas froid à l'œil, Jacques Edouard Alexis refuse de jeter ses gants. Ce n'est pas l'argent qui lui manque ni des sicaires. Son alliance avec les diplomates du béton n'est un secret pour personne. Cette accalmie apparente de ce week-end est encore plus dangereuse. S'agit-il d'un retrait stratégique? Il est un fait certain qu'il y aura du grabuge. La confrontation est inévitable. Les Ambassades américaine, française et de presque tous pays accrédités en Haïti ont émis un communiqué annonçant la fermeture des services consulaires jusqu'à nouvel ordre. Elles demandent à leurs ressortissants de surseoir leurs voyages sur la terre volcanique d'Haïti. Pourquoi toutes ces précautions si elles n'avaient pas flairé l'odeur d'un éclatement au TNT ou Trinitrotoluène?


Le torchon brûle entre Jacques Edouard Alexis, René Préval et Jean Bertrand Aristide. Le Premier Ministre déposé n'entend pas avaler cette couleuvre. C'est l'effondrement total de son projet de succession. Le Président proclamé René Préval qui avait fait pourtant la promesse formelle au Club de Bourdon de faire d'Alexis son dauphin a maintenant son propre candidat. Les hommes politiques sont le plus souvent sincères mais sous la pression des circonstances ils se voient obligés de changer d'attitude, affirme Toussaint Louverture pour expliquer son revirement dans le camp des Français. Le Président kidnappé Jean Bertrand Aristide ne s'en remet pas encore de sa blessure et entend jouir de son droit d'aînesse. De son lointain exil africain par remote control il dirige les événements politiques haïtiens. Les manifestations contre la faim ont vite pris une vitesse turbo sous la patine de ses lieutenants : Père Jean Juste et Sô Anne. En un temps record cette puissante machine de destruction a réduit en masure la résidence du PM, les maisons avoisinantes et certains magasins. Les cyclones qui frappent ordinairement Haïti n'ont jamais eu une telle ampleur ni commis de tels dégâts dans un délai aussi court.


Le fauteuil présidentiel devient une chaise musicale autour de laquelle rodent avec astuce les prétendants qui se bousculent. Le premier qui y aura déposé son séant sera le vainqueur. Dans leurs sarabandes ils ne se
rendent pas compte de la présence d'un émissaire américain, délégué sur place pour arbitrer ce match qui s'annonce trop passionné et trop dangereux pour le reste du Corps Social. Le peuple nécessiteux meurt de faim dans l'indifférence de ses dirigeants politiques. Si la décision illégale de la Chambre des Députés a renvoyé Alexis mais la famine le principal objet de sa contestation demeure encore. Le Président René Préval est dépassé par l'ampleur des événements. Au nom de la morale sociale, ce spectacle devient inacceptable aux portes de l'Amérique. Tous les écrans du Monde projettent le drame qui se déroule en Haïti mettant nos ressortissants de la diaspora dans des postures vraiment difficiles sur leurs lieux de travail. En voulant tout avoir ils vont tout perdre.

Alexis jure qu'il n'ira pas seul.

De l'Espoir au chaos par Nancy Roc

De l’Espoir au chaos

Pendant près d’une semaine, Haïti a été secouée par de violentes manifestations contre « la vie chère », qui se sont très vite transformées en véritables émeutes de la faim et en scènes de pillage. Si Les Cayes, ville réputée calme, a été le surprenant détonateur d’une colère populaire prévisible, Port-au-Prince aura vécu des heures de terreur, notamment le 8 avril 2008, rappelant les pires moments de l’anarcho-populisme lavalassien. Au lendemain de ce chaos généralisé engendré par le laxisme des autorités face à la flambée des prix des produits de première nécessité sur le marché local et international, le premier bilan partiel est lourd : au moins 5 morts, une soixantaine de blessés et des dégâts matériels estimés à plus de 10 millions de dollars américains[1][1] au moment où nous rédigeons ce texte. Pendant plus de 72 heures, le pays et sa diaspora sont restés dans l’attente d’une réaction du président René Préval : une attente insupportable qui s’est soldée, le 9 avril, par un discours creux d’une quinzaine de minutes du chef de l’État qui n’a apporté aucune solution concrète et urgente à la souffrance du peuple haïtien. Malgré son appel au calme, on retiendra que René Préval n’a pas condamné les pillages et actes de violence perpétrés par des vandales qui ont infiltré les manifestants qui criaient légitimement leur colère et frustration. Les propos du chef de l’État ont attisé la colère des manifestants qui exigent désormais avec des partis politiques et des parlementaires la démission du premier ministre.

En attendant, la politique économique menée ces vingt dernières années - dont 17 ans de régime lavalassien- et l’irresponsabilité des autorités en place sont en train de mener le rafiot haïtien au naufrage. Le reste du secteur privé, déjà durement éprouvé sous le régime d’Aristide II, restera-t-il au pays après ce nouveau revers à ses investissements ? Le silence du président a-t-il fait preuve de complaisance ou de complicité avec le chaos orchestré par les casseurs ? Qui menait ces derniers et à qui profite ce chaos ? Quelles sont les leçons à tirer de la colère du peuple haïtien aujourd’hui ? Telles sont les questions auxquelles nous tenterons de répondre dans ce texte.

Une République de farceurs

Depuis le 1er avril dernier, de nombreuses manifestations contre la vie chère ont été enregistrées en Afrique : de Douala (Cameroun) à Abidjan (Côte d'Ivoire) et du Caire (Égypte) à Dakar (Sénégal), de Rabat (Maroc) à Mbabane (Zwaziland), les manifestations de rues ont ébranlé les capitales africaines contraignant les gouvernants à prendre des mesures pour contrôler les prix des produits des matières agricoles. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), ils ont augmenté de près de 40 % en 2007 au niveau mondial. Le prix du blé est au plus haut depuis vingt-huit ans, celui du maïs, du riz, du soja, du colza ou de l'huile de palme a doublé, voire triplé, en deux ans au grand dam des populations pauvres dont les revenus ne progressaient pas autant[2][2]. La situation est tellement critique que le 2 avril, par la voix de son président, Robert Zoellick, la Banque mondiale a décrété qu'il fallait de toute urgence lancer un « new deal » alimentaire pour éviter que 33 pays connaissent des troubles politiques et sociaux[3][3]. La hausse des prix des produits agricoles a des causes multiples : elle est due, entre autres, « à une demande accrue des pays émergents suscitée par la poussée démographique, mais aussi par une hausse du niveau de vie en Asie. Le monde agricole n'a pas pu suivre cette poussée de la demande, car les terres se raréfient en raison de l'urbanisation accélérée, en Chine comme en Inde, et à cause d'une productivité agricole toujours insuffisante dans les pays en développement. Le réchauffement climatique contribue à aggraver les phénomènes de sécheresse ou d'inondation qui détruisent les récoltes. La hausse des prix de l'énergie a provoqué celle des intrants (semences, pesticides, engrais)[4][4]». Quant au riz, crucial pour les Haïtiens, son prix a augmenté de 30% en deux semaines- « du jamais-vu», selon Patricio Mendez del Villar, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad)[5][5]. La colère du peuple haïtien vient donc s’ajouter à celle des pays africains mais aussi des Philippines et de l’Argentine.

Il est clair que, en raison de la dépendance alimentaire d’Haïti, le pays ne pouvait échapper à cette crise mondiale. Toutefois, la sonnette d’alarme avait été tirée depuis longtemps par de nombreux experts et journalistes : il fallait accorder la priorité à la sécurité et à la relance de la production nationale. Le gouvernement Préval/Alexis, tout en ayant formulé le même vœu depuis 2006, n’a toutefois pris aucune mesure concrète pour le matérialiser. L’urgence a été accordée à la stabilité politique- nécessaire certes- mais le gouvernement a aussi commis une grave erreur, comme nous l’avons souligné dans notre dernier grand dossier[6][6] : il a tout misé sur l’aide internationale pour faire face aux exigences économiques nationales. Pire ! Il s’est soumis aux diktats de la communauté internationale qui ont «guidé» un président élu sans programme économique. Quant à Jacques Édouard Alexis, sans doute trop préoccupé par ses aspirations présidentielles pour 2011, il n’a fait montre d’aucune vision et encore moins de leadership. Résultats : après le départ d’Edmond Mulet[7][7], les gangs se sont reformés, les kidnappings ont resurgi et le coût de la vie n’a cessé d’augmenter sans aucune intervention du gouvernement.

Parallèlement, le Parlement s’est enlisé dans une cascade de scandales et est devenu- notamment pour certains voleurs, « politicailleurs» à la recherche de gains faciles et trafiquants de drogue notoires- un précieux refuge où, sous immunité parlementaire, on se prête à toutes sortes de manipulations et d’exactions. L’interpellation du Premier ministre par la Chambre Basse, il y a environ un mois, n’a servi de leçons ni à celui-là ni à celle-ci. Le reste fait désormais partie de l’Histoire : le vote de confiance accordé par les députés à Alexis, le 28 février, a été sanctionné par le peuple qui a pillé la maison du Premier ministre et fait fuir les députés lundi dernier alors qu’ils voulaient tenir séance suite à l’insurrection de la ville des Cayes. Quant au président qui avait invité la population à venir le chercher si elle descendait dans la rue, il aurait eu de sérieuses sueurs froides sans la présence des 12 chars de la MINUSTAH qui ont sécurisé le Palais lorsque sa barrière a été écrasée par les manifestants ! Le mépris des dirigeants envers la population se paye donc de plus en plus cher et le peuple n’est plus dupe des élus ou des pseudo responsables qui se servent plutôt que de servir. Aujourd’hui, le «chlorox»[8][8] qui brûle l’estomac du peuple a aussi répandu son acide sur les plus hautes autorités du pays qui, hier, se réclamaient de la gauche dure et pratiquent depuis des années une politique néolibérale.

Le 5 avril, Jacques Édouard Alexis a vainement essayé de désamorcer la bombe. Suite à l’insurrection aux Cayes, il a déclaré que les manifestations avaient été infiltrées par des trafiquants de drogue, contrebandiers et des violateurs de la Constitution pour semer la pagaille. L’annonce de l’injection rapide de 400 millions de gourdes dans des projets pour aider la population à faire face au chômage et à la cherté de la vie n’a eu aucun effet. Pour huit millions d’habitants affamés, cela équivaut à 50 gourdes par personne, soit moins de $ 2 US ! La patiente impatience du peuple a donc explosé pour aboutir au chaos vécu cette semaine. Même la MINUSTAH n’a pas échappé aux attaques du peuple. La République des farceurs, trompeurs, voleurs et kidnappeurs n’est plus qu’un rafiot prêt à faire naufrage…

Le spectre d’Aristide

Si le premier ministre a accusé les trafiquants de drogue et autres d’être derrière l’insurrection de la troisième ville du pays, il est étonnant de constater que des informations sûres faisant état de l’implication d’Aristide dans l’infiltration des manifestations n’aient pas été véhiculées par la presse. En effet, les attaques contre cette dernière ont constitué un premier indice aux observateurs car le peuple haïtien n’attaque pas les journalistes. Ensuite, des slogans figurant sur les pancartes de certains groupes rappelaient étrangement la dialectique lavalassienne : « boujwazi ap fè profi», « laprès ap fè pwezi »[9][9]. La spontanéité et la violence des pillages et des casseurs en ont surpris plus d’un, mais cette violence rappelait aussi les jours sombres qui ont suivi le départ d’Aristide en février 2004. L’attaque et le pillage du local d’Air France ont constitué un autre indice important. En effet, les manifestants ont déclaré au micro des journalistes que c’était « parce que la France avait fait partir Aristide » qu’ils agissaient ainsi. Dès lors, nous avons mené une enquête et des sources dignes de foi nous ont révélé qu’Annette Auguste alias Sò Ann et le Père Gérard Jean Juste auraient organisé une réunion avec leurs partisans aux Cayes avant l’insurrection du 3 avril et le dimanche 6 avril à Cité Soleil, 24h avant que la violence saccage la capitale. Les attaques contre les bâtiments des services publics, les hôpitaux, les viols, la rage envers les entreprises privées mais aussi envers les petites marchandes ne caractérisent pas le peuple haïtien, même en colère, mais constituent des « actes de terrorisme », a finalement souligné un communiqué du Conseil de Sécurité de la Police Nationale (CSPN) au petit matin du 10 avril. Enfin, une source sûre, issue des plus hautes autorités des Nations unies à New York, nous a confirmé ce qui suit le 8 avril : « tout ce qui arrive maintenant est l'œuvre de Lavalas (...) depuis des mois des agents payés par l'exilé en Afrique du Sud parcourent le pays, organisent des cellules et se préparent politiquement. La situation de « la vie chère » (…) tombe à pic en Haïti pour ces activistes de la démagogie qui en profitent pour créer le chaos. Il est vrai aussi que dans certaines villes, comme Les Cayes, les trafiquants de drogue ont peur car les américains s'installent dans une nouvelle base maritime qui va leur causer des problèmes, (…) Lavalas, pauvreté, trafiquants. .. et autres, ont intérêt à ce que le processus n'avance pas.» La main cachée et armée évoquée par les autorités haïtiennes n’a pas hésité non plus à attaquer la MINUSTAH faisant resurgir la nécessité de constituer des forces de l’ordre nationales adéquates. Aux Cayes, tous les agents de compagnies de sécurité privées ont été désarmés et leurs armes réapparaissaient peu après entre les mains d’individus cagoulés constitués en véritables commandos montés sur des véhicules tout terrain[10][10]. L’héritage empoisonné d’Aristide a et aura encore de lourdes conséquences sur la conjoncture haïtienne et l’Espoir[11][11] de René Préval n’a débouché que sur le désespoir. La libération systématique de la majorité des activistes lavalassiens tels qu’Annette Auguste, Père Gérard Jean Juste, René Civil ou le retour au pays de nombreux partisans zélés tels Mario Dupuis ont facilité l’œuvre de l’ex-dictateur à un tel point qu’aujourd’hui la question suivante n’est pas à écarter : le silence du chef de l’État a-t-il constitué une preuve de complaisance ou de complicité? D’autre part, l’État ayant pour mission de garantir la sécurité des vies et des biens, ne devrait-il pas dédommager les commerçants lésés ?

Un avenir sombre pour Haïti

La situation qui se développe depuis le 3 avril ne peut qu’entraîner le pays vers davantage de misère et fera fuir tout investisseur local ou étranger pour le reste du mandat de Préval. Aristide avait toujours prôné que sans lui ce serait le chaos et le populisme de misère n’a pas fini d’engouffrer Haïti dans une misère abyssale et d’empêcher toute avancée du pays vers un quelconque progrès. La faiblesse et les tâtonnements du gouvernement Préval/Alexis ne font que profiter au Parti Lavalas qui, nous l’avons toujours souligné, dispose d’une machine destructrice très bien huilée et largement financée.

Le discours du chef de l’État n’a pas convaincu la population et la démission d’Alexis est exigée tant par des partis politiques tels que La Fusion des sociaux-démocrates, le Grand Rassemblement pour l’Évolution d’Haïti (GREH), le Conseil National des partis politiques, Latibonit an Aksyon (LAA), le Mouvement Chrétien pour une nouvelle Haïti (Mochrena) que par certains parlementaires. Un groupe de 16 sénateurs (sur 27) demande la démission du Premier ministre pour ce 12 avril, date à l’issue de laquelle ils promettent de lui décerner un vote de censure. En faisant sauter ce fusible, cela changera-t-il la situation ? En effet, selon nos sources, le silence du président a aussi été dû aux tractations pour remplacer Jacques Édouard Alexis et des noms tels que Paul Denis et Evans Lescouflair sont déjà évoqués pour remplacer le locataire de la Primature.

L’avenir d’Haïti s’assombrit une fois de plus et nous venons encore de régresser. Ce pays sera-t-il éternellement un trou sans fond ? Alors que beaucoup veulent déjà le quitter, notre projection faite en face du porte-parole de Lavalas, Jonas Petit, dans les studios de Radio Métropole en 2000, nous revient à la mémoire : nous lui avions dit que si la politique de destruction et d’exclusion de Lavalas se poursuivait, Haïti deviendrait un grand rocher déboisé, peuplé d’analphabètes et de gangsters. En effet, le Parti Lavalas a toujours prôné- au début, à juste titre- que le peuple avait été exclu. Qu’à fait ce Parti depuis ? Il a exclu la bourgeoisie, l’intelligence et la tolérance. Il a fait assassiner et/ou exiler les meilleurs journalistes et son esprit populiste insidieux s’est infiltré puis incrusté à tous les niveaux de la société, y compris une partie de la presse. Celle-ci, en place et lieu de se former pour pratiquer un journalisme responsable dans un pays fragile, s’érige en tribunes populaires sensationnalistes en attisant les divisions de la société. Lors de la dernière conférence-débat organisée le 22 février dernier par le Groupe Média Alternatif autour du thème « Éthique journalistique aujourd’hui en Haïti : Pratiques et défis », Marvel Dandin, directeur de l’information de Radio Kiskeya, s’était interrogé sur la capacité de « nos journalistes» à appliquer les «principes les plus élémentaires » qui régissent la profession. Pour ce journaliste de carrière, les bases de l’éthique ne sont plus respectées. « Il y a péril en la demeure », avait-t-il estimé[12][12]. Ce péril est d’autant plus déplorable, qu’une fois de plus cette semaine, des confrères photographes et des médias ont été victimes de la furie populiste alors qu’ils essayaient de faire leur travail malgré le danger qui prévalait dans les rues. Tout le monde sait que ces attaques contre la presse n’ont pas été perpétrées par le peuple haïtien affamé mais bien par des terroristes.

Jodi’a, sa rèd [13][13]! L’heure est grave, très grave ! En effet, lorsque le rapport de la Banque mondiale souligne que 83% des cerveaux haïtiens se trouvent à l’extérieur, que reste-t-il dans le pays ? Des innocents croupissant dans la misère, des politiciens véreux, des gangsters, des démagogues, des voleurs, des violeurs et des kidnappeurs. Aujourd’hui, la minorité des investisseurs- dont de nombreux nouveaux et jeunes entrepreneurs- qui a eu le courage de continuer à investir dans le pays et à travailler dur, a été une fois de plus – et sans doute une fois de trop- victime sans que l’État lève les bras. Qui donnera des emplois à la majorité lorsque cette minorité s’en ira elle aussi ? René Préval et tous les Haïtiens auront-t-ils le courage de se ressaisir ?

Au moment où nous parachevons ce texte, un calme précaire semble s’installer à travers le pays et la tempête semble vouloir s’apaiser avec la fatigue de la population. Les réserves de nourriture et d’essence s’épuisent et les Haïtiens doivent se réapprovisionner. Aprè bal, tanbou lou[14][14]Malgré l’attaque contre Air France, le ministère français des Affaires étrangères a annoncé, le 10 avril, l'octroi à Haïti d'une aide d'un million d'euros dont 800.000 d'aide alimentaire, a fait savoir le Quai d'Orsay dans un communiqué[15][15]. L’OEA a aussi annoncé une aide d’urgence d’un million de dollars américains. Le même jour, le président de la Banque mondiale a réorienté les politiques de cette institution au profit de l'agriculture et de la lutte contre le réchauffement climatique. « La Banque mondiale, qui était un simple distributeur de prêts (…) doit devenir un système financier dédié aux populations les plus pauvres »[16][16], a déclaré Robert Zoellick. Dans un communiqué publié le 9 avril, le RNDDH[17][17], a demandé au pouvoir en place de « revoir son orientation économique, de cesser de se faire dicter sa conduite par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, et d’appliquer une politique économique sociale prenant en compte les revendications et les intérêts de la population »[18][18]. Certains économistes estiment désormais à près de 100 millions de dollars américains les pertes enregistrées au cours de cette semaine : Port-au-Prince saccagée, Pétion-Ville à moitié détruite, 22 stations de gazoline attaquées, d’innombrables magasins pillés, des morts, des blessés etc. Toute cette destruction a eu lieu sans une intervention de l’État et sous le laxisme complice des forces de l’ordre pendant 72 heures. Entre l’irresponsabilité de nos dirigeants et notre esprit autodestructeur, pourrons-nous jamais renaître de nos cendres ?

Nancy Roc, Montréal le 11 avril 2008.

Haïti - Derrière les émeutes, le spectre d'Aristide

Assiste-t-on à une tentative de renversement du gouvernement ?

Les manifestants à Port-au-Prince ont reconstruit mercredi les barrages que les forces de l'ordre avaient été détruits au cours de la nuit.

Photo: Agence Reuters

Depuis quelques jours en Haïti, les groupes criminels des quartiers populaires ont repris le contrôle des rues. Historiquement très liées au parti Lavalas, des émeutes pro-Aristide seraient en grande partie responsables des violences qui ont assombri les manifestations contre la faim apparues il y a dix jours. On soupçonne aujourd'hui l'existence d'une tentative planifiée de faire tomber le gouvernement du premier ministre Jaques-Édouard Alexis.

Dans les rues assiégées de Petit-Goâve, un étal de fortune nommé Marché Clorox affichait mardi dernier un prix de vente de plusieurs centaines de dollars pour chaque sac fictif de céréales. La célèbre marque de blanchisseur Clorox est maintenant devenue le symbole des manifestations contre la hausse du coût de la vie. Elle fait référence à une expression populaire assimilant le goût de ce produit à la sensation de faim.


Comme au Salvador, au Cameroun, au Burkina Faso ou en Indonésie, la majorité de la population haïtienne, qui vit sous le seuil de la pauvreté, a subi une importante augmentation du prix des produits de base depuis le début de l'année, surtout celui du pétrole et des céréales. Le sac de riz est ainsi passé, selon l'agence de presse haïtienne HPN, de 750 à plus de 1150 gourdes (de 20 $ à plus de 30 $ environ). Le prix de la marmite de pois serait passé de 125 à 225 gourdes.

Dans un appel au calme lancé mercredi, le président René Préval a surtout montré du doigt les marchés mondiaux, les jugeant responsables de ces hausses. Il a rappelé la nécessité de reconstruire l'agriculture haïtienne, détruite notamment par l'importation massive du riz depuis la fin des années 80.

«Les manifestations qui se sont déroulées à travers les rues de la capitale et de plusieurs villes de province ont surtout été motivées, dans un premier temps, par le désir de lutter contre la vie chère, rapporte le journaliste et photographe Roberto Isaac, de l'agence HPN. Les manifestants demandaient de réduire les prix des produits de première nécessité pour pouvoir se procurer quelque chose à manger. Mais rapidement, cela a pris une tout autre tournure.»

Du vandalisme orchestré


Entamées aux Cayes le 3 avril, ces manifestations, le plus souvent pacifiques, ont rapidement laissé place à des actes de vandalisme orchestrés, selon certains, afin de paralyser le pays et de faire tomber le gouvernement. Le premier ministre Jacques-Édouard Alexis a accusé au départ les trafiquants de drogue. Depuis les émeutes majeures de Port-au-Prince mardi et mercredi, plusieurs casseurs semblent s'afficher comme partisans de l'ancien président Aristide.

«À Port-au-Prince, de nouveaux manifestants issus des groupes organisés de quartiers populaires liés à la Famille Lavalas [le parti d'Aristide] ont montré qu'on assistait à un travail systématique mené par les groupes d'Aristide», affirme le sociologue Laenec Hurbon. Cela s'est d'ailleurs confirmé cette semaine dans les autres villes bloquées le jour par des barricades. Bien que le vandalisme ait cessé à Port-au-Prince depuis mardi, la ville est morte: l'électricité et l'essence n'y sont plus disponibles. Des barricades de fortune étaient encore érigées avant-hier dans quelques villes du pays et les gens attendent une réponse du gouvernement à la menace de destitution du premier ministre par un groupe de sénateurs.


Un lourd passé


Les partisans de la Famille Lavalas ont fait un appel public à des manifestations pacifiques, mais il est connu de tous que, par le passé, ils ont organisé des manifestations violentes grâce au soutien de bandes criminelles des quartiers populaires.



Une forte baisse du respect des droits fondamentaux avait d'ailleurs marqué le dernier passage d'Aristide à la présidence de 2000 à 2004 (élections truquées, liberté d'expression bafouée). À l'époque, plusieurs gangs de jeunes criminels s'en étaient pris violemment à des personnes et groupes critiques des politiques d'Aristide.

«Ils ont toujours procédé ainsi, poursuit M. Hurbon, chercheur affilié au Centre national de recherche scientifique de Paris (CNRS). Si vous lisez bien le message [du nouvel an 2008] d'Aristide, celui-ci demande "même amour", expression signifiant un renforcement des luttes et des pratiques dures contre le régime de Préval afin d'obtenir son propre retour, l'unique solution, selon les lavalistes, pour remédier aux problèmes du pays.»


«Dans les pratiques lavalassiennes, poursuit-il, le mot "pacifique" signifie qu'on peut attaquer les maisons: toute personne qui n'est pas de Lavalas est considérée comme un bourgeois et un riche. Autrement dit, derrière les manifestations des gens qui effectivement ont faim et demandent une baisse des prix des produits de première nécessité, il y a tout un militantisme politique de groupes lavalassiens liés à Aristide qui demandent son retour. Derrière la question sociale, il y a une question politique.»


Mardi, Port-au-Prince a vécu sa plus forte journée de vandalisme depuis l'époque d'Aristide: des magasins, des stations-services, des banques et des médias ont subi un pillage systématique. Mercredi, le chic quartier de Pétion-Ville a aussi connu des actes de saccage. «En Haïti, rien ne se fait par hasard, affirme Roberto Isaac, de HPN. Quelques groupes de personnes ont tenté de s'approprier le mouvement et les gens ne manifestent plus dans les rues pour une réduction des prix des produits; ils s'en sont pris à certains magasins et commerces. C'était la même situation en 2004.»


«Certaines informations nous portent à croire qu'il y a eu une réunion à Cité-Soleil pendant la nuit [de lundi à mardi dernier] pour planifier la journée [suivante]. Je n'étais pas sur place, je n'ai donc pas pu vérifier cette information, mais il semble que certains dirigeants du parti Famille Lavalas, Sò Anne et le père Jean Juste, auraient tenté d'attiser le mouvement.»


Certains groupes du centre-ville de la capitale auraient aussi demandé la levée de tous les contrôles douaniers, mesure qui profiterait aux importateurs, eux-mêmes souvent très proches des mouvances politiques. Le président de la République a d'ailleurs rejeté cette demande lors de son discours mercredi.

Stabilité

Au moment de son accession au pouvoir en 2006, le président René Préval affirmait que ses priorités étaient la sécurité et la lutte contre la corruption, qui permettraient d'attirer les investissements en Haïti et de relancer l'économie. Symbole et fierté de sa présidence, cette stabilité a été ébranlée pour la première fois à Port-au-Prince mardi et en province par la suite.

Depuis le début des troubles, «le gouvernement n'a pas été en phase avec les attentes et les angoisses de la population, explique M. Hurbon sur un ton enflammé. Nous avons assisté à une sorte de disparition, d'effondrement de l'État. Quand la foule n'a pas de bornes et quand tout est possible en politique, cela veut dire que nous sommes en plein danger, en pleine sauvagerie, en pleine barbarie. C'est ce qui est arrivé. Et Préval n'a pas répondu à l'attente de la population.»

Bien que des améliorations ont été apportées récemment à la liberté d'expression et aux droits des femmes, aucune avancée socioéconomique notable ne semble avoir été enregistrée dans le pays depuis la fin du régime dictatorial de la famille Duvalier en 1986.


«Si, effectivement, les manifestants n'avaient vraiment qu'une demande socioéconomique, ils auraient compris qu'il ne faut pas mettre à sac l'ensemble des magasins, des maisons de commerce, précise Hurbon. Ils n'auraient pas attaqué des ministères et des institutions qui n'ont rien à voir avec le problème. Autrement dit, le pays risque de s'enfoncer d'avantage dans la misère, la pauvreté, parce qu'il y aura moins d'investissements après ce qui s'est passé. C'est ça, le fond de l'affaire. C'est la réaction du gouvernement qui me pose problème: il aurait dû comprendre qu'il ne pouvait pas s'éclipser pendant deux jours et attendre pour intervenir. Il aurait dû expliquer que la loi doit assurer la sécurité de la population au quotidien. Dans la journée [de mardi], l'État s'est effondré, puisque tout était possible. Et c'est très dangereux puisque la sécurité n'existe plus pour personne, chacun est obligé de s'enfermer chez soi, et la foule devient ce qu'on appelle une populace.»

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